Making-of : la conception artistique de Final Fantasy XIII

La puissance artistique de Final Fantasy est devenue incontestable quand la qualité graphique et sonore des consoles a enfin pu commencer à refléter l’imagination débordante de ses développeurs. Une grande étape a été franchie lors du passage au format disque sur la première PlayStation, une plus grande encore avec le saut vers la 3D intégrale sur PS2… L’arrivée de la PS3 marque l’entrée de la série dans le jeu vidéo en haute définition. Avec ces avancées, la direction artistique devient de plus en plus exigeante, car elle doit imaginer un monde énorme jusque dans ses moindres détails. Pour se maintenir au niveau des graphismes, la musique doit elle aussi faire un pas en avant, mais pas seulement technique. Voici comment a été créée la partie artistique de Final Fantasy XIII.

ATTENTION : cet article contient quelques spoilers (images et texte).
Il est préférable de le lire une fois le jeu terminé.

Sommaire :
Cocoon et Pulse, Terra Incognita
La symphonie d’un nouveau monde


Cocoon et Pulse, Terra Incognita

« La claustrophobie d’un amas graisseux de machines rouillées, la quiétude d’une forêt luxuriante et d’un paisible champ de fleur sauvages, la chaleur des étoiles qui s’étendent au loin dans le ciel nocturne, la sensation de liberté alors que vous volez dans les cieux et que le paysage se déroule sous vos yeux, la beauté du soleil couchant illuminant une ville futuriste… Chaque lieu possède des couleurs et une atmosphère qui leur sont propres, qu’il s’agisse des mouvements des nuages et de l’eau ou des différences culturelles et historiques. »
– Yôichi Kubo, directeur de la planification des décors

La conception graphique de l’univers de Final Fantasy XIII n’a été lancée qu’une fois l’histoire mise en place. Dès que Motomu Toriyama a convoqué l’équipe artistique pour lui expliquer le scénario du jeu, le directeur artistique Isamu Kamikokuryô a commencé à dessiner quelques images conceptuelles. Sa première idée était de concevoir un univers technologiquement très avancé. Par chance, ce sentiment était tout à fait partagé par Toriyama : le style futuriste était le meilleur moyen de créer un contraste fort entre Cocoon et Pulse. Comme un tel univers n’avait jamais été traité dans la série auparavant (ou alors à certaines occasions uniquement), cette décision représentait un vrai défi. Les premières illustrations de Kamikokuryô ont servi de base à l’univers du jeu. Ensuite, les autres membres de l’équipe artistique ont travaillé sur ses idées pour les approfondir et constituer les différents environnements.


L’une des premières illustrations conceptuelles d’Isamu Kamikokuryô.

A cause de la grande différence de style entre Cocoon et Pulse, ils ont éprouvé quelques difficultés à établir un équilibre cohérent entre les deux. A l’origine, les artistes ne se sont pas inspirés d’endroits réels, comme ils l’avaient fait sur FFXII (en Turquie, notamment). Cependant, afin d’enrichir l’ambiance et de créer des détails plus précis, ils ont finalement organisé un voyage aux Etats-Unis. Dans cette terre où le contraste est fort entre la technologie et la nature, ils ont visité le musée de la NASA pour les machines, et les régions sauvages des montagnes rocheuses pour les décors de Gran Pulse. Isamu Kamikokuryô, grand amateur de photographie, a pris près de 40.000 clichés de son voyage. Il reste que l’un des meilleurs moyens de créer un style diversifié consiste à répartir les rôles selon l’ambiance recherchée : par exemple, alors que Kamikokuryô a dessiné les machines visibles à Cocoon, c’est Toshitaka Matsuda (designer en chef) qui a dessiné celles de Pulse.

Grâce à ces inspirations, l’endroit le plus fascinant de FFXIII est sans conteste Pulse. Contrairement au monde parfait et artificiel de Cocoon, Pulse est une terre immémoriale dont le vécu saute immédiatement aux yeux. Comme le passé et le présent sont intimement liés, plusieurs éléments d’époques différentes se mélangent pour créer un résultat inhabituel. Pour Kamikokuryô, cela produit un décor comparable à la Grèce, où les ruines ponctuent toujours le paysage actuel. Les environnements de Gran Pulse sont parsemés de villes et de monuments en ruines, rongés par la nature. Par exemple, en s’enfonçant au plus profond du massif de Yascas, le joueur découvre les ruines imposantes d’une ville de style contemporain : immeubles, asphalte, panneaux indicateurs… Il en résulte une impression mystérieuse. La tour de Taejin produit un effet comparable, mais plus étrange encore car les murmures que les personnages perçoivent dépassent les connaissances humaines. Il est donc impossible de les comprendre.

« FFXIII se déroule dans un univers futuriste, donc il n’existe aucun endroit réel que nous pouvons prendre comme source d’inspiration. Nous nous inspirons plutôt de villes actuelles pour ensuite imaginer ce qu’elles pourraient être dans le futur. Pulse est censé être une immense étendue sauvage. Pour cela, je me suis inspiré d’une traversée des Etats-Unis que j’ai faite, de Washington à San Francisco, en passant par tous les grands parcs nationaux. Yellowstone était l’endroit le plus évocateur, tout autant que la Route 66. C’était vraiment super. »
– Isamu Kamikokuryô, directeur artistique

Cocoon n’est cependant jamais bien loin, car le joueur peut toujours voir ce satellite artificiel dans le ciel de Pulse. Pour donner l’impression que le retour dans ce monde finalement si petit est inéluctable pour le dénouement de l’histoire, la sphère semble de plus en plus grande alors que les personnages traversent les étendues de Pulse jusqu’au village d’Oerba. Cette décision a été prise tout à fait volontairement par l’équipe artistique. Alors que la cinématique qui accompagne l’arrivée à Gran Pulse souligne l’incroyable force de la nature ainsi que sa cruauté, Oerba inspire par la blancheur de sa lumière un sentiment de nostalgie mêlé de détermination, une impression que confirment les paroles de la chanson qui joue dans ce décor.

« Nothing left to fear, l’Cie. Cradled in eternity. Shore of sands, your fate awaits. Oh surrender in the light. » (N’ayez plus crainte, l’Cie. L’éternité vous enlace. Votre destin attend sur les rivages sablonneux. Laissez-vous emporter dans la lumière.)
Paroles de Frances Maya, sur une musique de Masashi Hamauzu

Plusieurs décors qui ont été conçus par les illustrateurs n’ont pas été retenus dans la version finale du jeu pour des raisons d’équilibrage. Isamu Kamikokuryô ne cache pas que ces décisions étaient difficiles. Selon lui, les environnements finalement abandonnés permettraient presque de réaliser un deuxième jeu : parmi eux, on trouvait un parc à proximité de la maison de Lightning, une base secrète de Nora sous leur cabanon au bord de la mer, et un zoo dans la ville touristique de Nautilus. Parmi les décors présents dans le jeu, certains étaient un peu trop complexes au départ, ils ont été simplifiés afin de ne pas perdre le joueur. Comme pour n’importe quel jeu, les idées ne manquaient pas, mais le temps étant compté, il faut faire des choix.


Lequel a inspiré l’autre ? Pas celui auquel vous pensez.

Il arrive aussi qu’une idée surgisse plus tard dans le développement, et trouve tout de même sa place dans le jeu définitif. Alors que Yoshitaka Amano n’est plus directement associé à la partie artistique de Final Fantasy depuis le sixième épisode, l’équipe de Kamikokuryô a été saisie par la beauté du logo que le peintre a imaginé pour le jeu. A l’origine, les créateurs ont discuté avec Amano du mythe Fabula Nova Crystallis pour lui donner de l’inspiration, mais quand il a proposé son illustration, ils ont immédiatement décidé qu’elle était trop belle pour n’en faire qu’un logo et qu’il fallait la représenter dans le jeu. Lors de la cinématique de fin, les vagues de cristal qui encerclent Cocoon prennent finalement la forme du logo. L’idée d’Amano était plus que bienvenue car, jusque là, les artistes ne savaient pas comment représenter la fin du jeu.


La symphonie d’un nouveau monde

Grâce au travail formidable de Nobuo Uematsu, la musique de Final Fantasy a toujours été un élément essentiel au plaisir de jeu. Depuis qu’il a laissé la série entre d’autres mains, elle a pu explorer de nouvelles voies. La création de FFXIII a commencé au moment où Uematsu a quitté Square Enix pour lancer son propre studio. Bien qu’il ait quitté la société en de bons termes, les concepteurs du jeu n’ont pas envisagé de faire appel à lui, sauf pour la chanson thème, comme c’était le cas avec FFXII. Lorsque le treizième épisode a été dévoilé, le nom du compositeur a immédiatement été rendu public : Masashi Hamauzu. Alors que Uematsu devait à l’origine composer la chanson, il a finalement choisi de la laisser entre les mains de Hamauzu. Parfaitement conscient du talent du compositeur, il savait que, de toute façon, le travail serait bien fait. C’est le premier épisode auquel le compositeur historique de la série n’a pas du tout collaboré.

« Mon petit doigt m’a dit : « si c’est de la musique orchestrale, alors c’est Hamauzu ». »
– Yoshinori Kitase, producteur

Pour Yoshinori Kitase, le choix du compositeur était tout à fait naturel. Impressionné par la contribution de Hamauzu à Final Fantasy X et confirmé dans sa décision par son travail remarquable sur Dirge of Cerberus, il a compris que le seul moyen d’obtenir une bande originale de nouvelle génération était de faire appel à un musicien aussi talentueux qu’ambitieux. S’il est tout à fait normal que les graphismes deviennent beaucoup plus fins et expressifs en franchissant le cap de la haute définition, il était plus délicat d’envisager une telle évolution du côté de la musique. A quoi ressemblerait une bande originale de Final Fantasy sur PlayStation 3 ? Grâce à la technologie du streaming, Masashi Hamauzu avait déjà pu créer des musiques plus acoustiques que synthétiques sur PlayStation 2, dans Unlimited SaGa notamment. Même si la PS3 possède un espace de stockage plus important, ce n’était pas du côté technique qu’il fallait chercher. Encore moins pour un homme convaincu que la technologie n’est pas essentielle pour écrire de la musique de bonne qualité.

La solution trouvée par les développeurs et le musicien se trouve dans un « instrument » souvent négligé dans les jeux vidéo : la voix humaine. Dans certains environnements, le joueur est accompagné par des chants. Pour Hamauzu, cet ajout crucial est une véritable source de plaisir. Un plaisir d’autant plus remarquable quand la partie chantée surgit soudainement après un long passage instrumental. Le compositeur a fait appel à sa famille et ses amis pour interpréter les différentes chansons : sa femme Matsue est la voix aérienne d’Oerba tandis que leur fille aînée Aya fait les chœurs inquiétants du fal’Cie de Pulse. Frances Maya, une chanteuse anglo-japonaise, a écrit la plupart des paroles et interprété le thème très doux de Serah. Mina, une jeune chanteuse d’origine aïnou, prête quant à elle sa voix délicate à Gapra, Sulyya et l’écran des résultats des combats. Elle joue également du mukkuri, une guimbarde traditionnelle aïnou, dans la musique de la tour de Taejin.


L’ensemble Cocoon Symphonics joue quelques morceaux pour l’annonce de la sortie japonaise.

La toute première musique composée par Masashi Hamauzu pour Final Fantasy XIII est le thème de combat, intitulé « Senkô » en japonais, ce qui signifie « éclair ». Il l’a écrite en 2006 pour les besoins de la première vidéo du jeu, et elle a été arrangée par son collègue Ryô Yamazaki. S’il a continué à écrire quelques pistes en 2006 et 2007, c’est à partir de septembre 2008 que son travail est devenu réellement intensif : encouragé par la soudaine accélération générée par le développement de la démo jouable, il a été pris dans le mouvement. Il venait alors d’achever l’écriture des musiques de Sigma Harmonics, un petit projet sur DS.

« Je n’ai jamais connu de manque d’inspiration ou éprouvé de difficulté avec un morceau. Cela s’explique parce que l’univers et le scénario sont tellement riches qu’il est impossible de ne pas bouillonner de créativité. »
– Masashi Hamauzu, compositeur

Malgré l’immense pression causée par l’héritage de la série, Masashi Hamauzu avoue ne pas avoir eu de difficultés à trouver son inspiration. En fin de compte, toutes les pistes qu’il a composé ont été utilisées dans le jeu, ce qui n’est pas toujours le cas. Reprenant la tradition des précédents épisodes, chaque personnage principal possède son propre thème musical. Pourtant, selon Hamauzu, seul le thème de Snow a été composé avec pour objectif d’illustrer le personnage. Dans le cas des autres thèmes, ils ont été composés avant tout pour trouver leur place dans les cinématiques, mais en fonction des personnages mis en scène, les mélodies leur ont finalement été associées. C’est notamment le cas de Fang, qui sert d’accompagnement à l’attaque du vaisseau Palamécia. Lorsqu’il a composé la première version du thème, il lui a donné le nom de « Shûgeki 2 », en référence à une piste proche de Final Fantasy X (le morceau que l’on entend quand le groupe de Tidus surgit en plein mariage de Yuna et Seymour).

En plus des chants et de nombreux enregistrements acoustiques au Japon, l’équipe de Final Fantasy XIII s’est offerte un cadeau de taille : neuf pistes ont été enregistrées en Pologne, avec le très prestigieux orchestre philharmonique de Varsovie et ses chœurs. Une extravagance, certes, mais pour un résultat extrêmement spectaculaire. Grâce à ces orchestrations grandioses, le jeu peut notamment offrir au joueur des combats plus épiques que jamais.