Critique : la bande originale de Final Fantasy XIII

Final Fantasy XIII Original Soundtrack
– Référence : SQEX-10178~82 (limitée), SQEX-10183~6 (normale)
– Disques : 5 (limitée, 4 CD de musique + 1 drama), 4 (normale)
– Prix : 5250 yens (limitée), 3990 yens (normale)

Musique composée, arrangée et produite par Masashi Hamauzu
Arrangements additionnels : Ryô Yamazaki, Mitsuto Suzuki, Junya Nakano, Tôru Tabei
Arrangement et orchestration : Toshiyuki Ômori, Kunihito Shiina
Interprètes : Frances Maya, Mina, Matsue et Aya Hamauzu
Paroles : Frances Maya

« Ragnarok », « Escape », « Crash Landing », « Nautilus », « Fighting Fate », « Fang’s Theme », « Born Anew », « Nascent Requiem », « Ending Credits »
Arrangement et orchestration : Yoshihisa Hirano
Interprétation : Orchestre philharmonique de Varsovie et ses chœurs
Paroles : Motomu Toriyama

Chansons thèmes « Kimi ga iru kara » et « Eternal Love »
Musique composée par Masashi Hamauzu, arrangée par Sin
Interprète : Sayuri Sugawara
Paroles : Sayuri Sugawara, Yukino Nakajima

Autant que les jeux, les bandes originales des Final Fantasy numérotés ont toujours servi de point de repère dans le monde de la musique de jeu vidéo. Grâce à son talent pour les mélodies, Nobuo Uematsu a pendant longtemps offert à la série des airs mémorables. Depuis qu’il a progressivement quitté son poste et bien qu’il soit de retour sur le quatorzième épisode, la partie musicale de Final Fantasy a été traitée par de nombreux musiciens aux styles très différents les uns des autres… et au talent pas toujours comparable. Il existe pourtant certaines certitudes. Par exemple, celle que pour un jeu aussi ambitieux que Final Fantasy XIII, un seul homme pouvait être capable de porter la musique de la série vers une nouvelle génération. Oui, à jeu ambitieux, musicien ambitieux. Masashi Hamauzu, et nul autre que lui. Après près de quatre longues années d’attente, l’œuvre qu’il délivre est monumentale et son talent, plus que jamais, est incontestable.


Le coffret limité de la bande originale.

Le compositeur a réussi à illustrer et renforcer les trois aspects de cette aventure : la tragédie racontée par scénario, la tension des combats et la méditation des phases d’exploration. Sa musique parvient à accompagner tout à fait naturellement les visuels, comme si les deux éléments étaient indissociables. Sur les quatre disques de la bande originale, les musiques des cinématiques sont très présentes car elles illustrent chacune des moments précis. Dans le jeu, ce ne sont pourtant pas elles qu’on entend le plus, car une grande partie de l’aventure est consacrée à l’exploration de Cocoon puis Pulse et, bien sûr, au combat contre les nombreux ennemis qui parsèment ces deux mondes. Mais dans chaque domaine, il met toutes les chances de son côté en ajoutant à son propre talent celui de nombreux collaborateurs.

La méditation par la musique

L’univers visuel de FFXIII est l’un des plus beaux jamais vus dans un jeu, il était donc tout à fait normal que la musique l’accompagne avec autant de majesté. Grâce à des trouvailles simples mais efficaces, Hamauzu parvient à illustrer musicalement chaque région. Cocoon, monde futuriste utopique, est l’occasion de s’essayer aux plus grandes folies. Le rythme étouffé de « Hanging Edge » suit les pas prudents des personnages en territoire ennemi. Les percussions tribales mêlées de voix électroniques dans « Vile Peaks » rehaussent le contraste entre ces terres sauvages et les épaves des machines qui s’y entassent. La chanson techno de Sunleth est l’indice parfait pour signaler une anomalie : cette nature luxuriante n’est qu’un monde artificiel. Le thème des chocobos de Cocoon est aussi superficiel que le parc d’attraction qu’il accompagne. L’arrangement de Ryô Yamazaki n’est pas sans rappeler certaines musiques du Gold Saucer de FFVII.

The Gapra Whitewood (disque 2, piste 13)
On ne pourra jamais assez remercier Masashi Hamauzu d’avoir développé ce style planant incroyable. Dans FFX et Musashi: Samurai Legend, le compositeur avait déjà élaboré quelques musiques synthétiques de ce type, dont le rythme électronique ne nuit en rien à leur nature profondément douce et aérienne. Le thème de Gapra est un don des dieux. Le rythme pressé est bercé par le chœur lointain de Aya, la fille du compositeur, et le chant mystérieux de Mina, son amie aïnou. Le piano les accompagne paisiblement, la guitare acoustique suit discrètement le rythme, une flûte se laisse parfois deviner… Vous voyez ? Vous êtes dans un rêve.

Les musiques de Gran Pulse sont différentes. Plus naturelles, elles reflètent un monde plus paisible, plus vaste. Le joueur y est accueilli par la beauté impressionniste de « Terra Incognita ». Un peu plus loin, « The Archylte Steppe » est la plus belle invitation à la découverte de l’album. La présence d’instruments acoustiques devient alors essentielle pour donner aux thèmes un souffle organique, authentique. Dans « Sulyya Springs », les notes cristallines du piano et le voile reposant du violoncelle rehaussent la douce fraîcheur ombragée de cette grotte. « The Yaschas Massif » apporte une touche reposante de bossa nova, faisant de cette région optionnelle un lieu de promenade accueillant. Mais l’apothéose se trouve sans doute dans « Dust to Dust », arrangée par Mitsuto Suzuki : la quête des héros prend alors une dimension mystique incroyablement poignante. Plus que jamais, le décor en question n’aurait jamais été aussi magique sans cette musique. C’était celle-ci, et nulle autre. Grâce à la présence des chants aériens, les musiques procurent un plaisir tellement immense qu’elles perdent leur simple fonction d’accompagnement. Elles sont Cocoon, elles sont Pulse.

Saber’s Edge (disque 1, piste 5)
Les thèmes de boss de Nobuo Uematsu n’ont que rarement failli. Ses successeurs pouvaient-ils en faire de même ? Masashi Hamauzu, en tout cas, a pris le relai avec un classicisme parfaitement efficace. Ce que le joueur croit être un thème de cinématique alors qu’il assiste au début du jeu se transforme bien vite en un vrai thème de combat ! Le rythme s’installe peu à peu, harpe et piano viennent le caresser, puis s’en saisissent pour qu’il explose lors d’un passage triomphal ! Qui a dit que les musiques de boss devaient faire pression sur le joueur ? Certainement pas Hamauzu, qui lui tend ici la main pour qu’il se saisisse de la victoire.

Les thèmes de combat sont une institution dans la série, et Hamauzu n’a pas manqué de moyens pour donner aux affrontements de FFXIII un accompagnement tout aussi impressionnant. Le thème de base « Blinded by Light » est connu depuis bien longtemps maintenant, pourtant son efficacité est toujours incontestable. Quand on se tourne vers les boss, les batailles les plus intenses ne le sont pas uniquement grâce aux graphismes éblouissants, mais aussi (et peut-être surtout) par la présence miraculeuse de l’orchestre philharmonique de Varsovie et de ses chœurs. « Fighting Fate » et « Born Anew » sont les pièces les plus imposantes. Bien qu’elles soient un peu courtes, leur puissance dramatique est saisissante. « Nascent Requiem », le combat final, est un morceau plus long et sophistiqué. Il ignore tout aspect tragique pour se concentrer sur une envolée épique, festive même. Hamauzu reproduit l’exploit du combat final de FFX : entre l’orchestration bondissante et les notes de piano, il produit une marche irréelle qui, dans ces instants décisifs, n’inspire aucune crainte, juste un puissant encouragement.

Au service du drame

L’accompagnement des cinématiques est un point fort indéniable de cette bande originale, car il colle au plus près à chaque scène. Cet aspect assez secondaire dans les épisodes précédent n’a pas été négligé par Hamauzu, qui a attendu d’avoir toutes les vidéos sous les yeux avant de composer. Il a ainsi pu souligner ce panel d’émotions avec une précision très efficace, chaque destinée étant illustrée le plus fidèlement possible. La chorale froide et résignée de « Ragnarok » et les cordes noires de « Lost Hope » plongent les héros dans le drame de leur destin, tandis que la guitare sèche offre un parfum de nostalgie au thème de Hope. La réalité douce-amère du thème de Lightning se change quant à elle en un formidable sursaut d’espoir ; la reprise du refrain des combats par un quatuor à cordes en fait l’un des passages les plus vifs de l’album. Et quand Vanille montre son plaisir devant chaque moment de paix, Hamauzu lui offre la douceur et la lumière du piano… avant d’y ajouter le souffle apaisant de la flûte dans « Memories of Happier Days ».

The Pompa Sancta, Nautilus et Eidolons on Parade (disque 3, pistes 8, 9 et 12)
L’un des passages les plus grandioses de la partie orchestrale est celle du chapitre 8, à Nautilus. Pour illustrer la ville des loisirs et ses activités dignes des grands parcs d’attraction, Masashi Hamauzu a produit des orchestrations comme on en entend rarement dans le jeu vidéo. Le thème de la ville, « Nautilus », est l’un de ceux qui a été enregistré à Varsovie. Il s’agit de l’une des pistes les plus longues de l’album, et aussi de l’une des plus majestueuses. Après une fanfare puissante, la tension retombe soudain et un court passage d’une douceur fabuleuse se glisse : des cordes discrètes accompagnent le piano, toujours aussi délicat, puis quelques bois reprennent la mélodie de la fanfare…
« The Pompa Sancta », plus narrative, accompagne la cinématique magnifique de la parade des invocations. Quant à « Eidolons on Parade » et son final tragique, elle ne fait qu’amplifier la puissance du drame qui se joue à ce moment de l’histoire.

Les scènes d’action sont aussi bien traitées. Masashi Hamauzu semble résolu à ne jamais laisser son travail faire de la figuration, car les morceaux les plus chauds sont toujours superbement menés. Il faut dire que les choses commencent bien, avec l’excellente « Defiers of Fate » de la scène d’ouverture, reprise plus cinématique du thème de combat. Plus tard, on se régale de l’héroïsme totalement maîtrisé de « Forever Fugitives », repris avec plus de frénésie encore dans « To Hunt L’Cie »… Au bout de leur quête, les héros découvrent la vérité, et la musique les accompagne sans fléchir, en commençant par la très énergique « Start Your Engines ». Quand arrive le moment décisif, la reprise magique du thème de Serah dans « Fabula Nova Crystallis » peut arracher des larmes aux cœurs sensibles. Les dernières musiques, thèmes de combat y compris, forment une conclusion aussi majestueuse que captivante à cette œuvre.

Will to Fight (disque 3, piste 22)
A plusieurs moments du jeu, la partition joue un rôle trop important pour changer à chaque combat. Il se créé alors une unité sonore poussant plus loin encore la puissance décisive : les héros doivent avancer et combattre. Cette unité renforce pleinement l’aspect cinématique du moment. En l’occurrence, ce morceau est sans doute l’un des plus impressionnants de la bande originale, et du jeu. Dans les teintes crépusculaires d’une cité hostile, les héros s’échappent sous les notes puissantes de ce thème rempli de surprises.
On pourrait s’attendre à entendre le rythme entraînant rehaussé de guitare électrique et enlacé par la chaleur du violoncelle pendant les 4 minutes de ce morceau. C’était mal connaître Hamauzu. Tout se calme soudain. Trois notes de piano… et puis elle arrive. Mina. Elle nous susurre quelques mots. Puis s’envole. Le compositeur avait raison. Cet instrument si simple, la voix humaine, procure un plaisir incroyable.

La bande originale brille également dans la variété de ses styles, qui réussit pourtant à faire un ensemble cohérent. Au début du jeu, le thème furieux de Snow fait son petit effet, le rock étant toujours aussi surprenant dans un RPG. Mais l’inspiration la plus remarquable est sans doute celles des pistes festives dont Hamauzu a confié l’arrangement à son grand ami guitariste Tôru Tabei. La couleur de peau de Sazh n’a pas échappé aux deux musiciens, qui se sont immédiatement tournés vers le jazz pour ses thèmes. « Sazh’s Theme », qui fait office de thème de lieu, et « Can’t Catch a Break », thème de boss celui-là, sont magnifiquement arrangés et interprétés. Il est extrêmement rare d’entendre du jazz aussi vivant et authentique dans un jeu, et encore moins un RPG. Certains passages au piano et à la trompette sont particulièrement formidables. Mais à ce petit jeu, c’est sans doute le thème des chocobos de Pulse qui l’emporte. Tout en restant fidèles au thème mémorable de Uematsu, Hamauzu et Tabei ont produit un arrangement débordant d’énergie et d’enthousiasme !

Monument

C’est par cette audace pertinente et maîtrisée que la bande originale de Final Fantasy XIII brille. Masashi Hamauzu n’a jamais succombé à la facilité pour se délester du poids infligé par l’héritage de la série. Il profite au contraire de cette opportunité incroyable pour s’offrir toutes sortes de folies, et ainsi montrer qu’il est un artiste aussi accompli que bien entouré. L’une des spécificités les plus satisfaisantes de cet album est que, pour la première fois dans la série, il n’y a aucune fatalité à recourir au synthétiseur : quand il est là, c’est qu’il est voulu. Pour le reste, la présence des instruments acoustiques est écrasante et, bien sûr, réjouissante.

Final Fantasy XIII est une pierre de plus sur le mur de la carrière fascinante du compositeur, un accompagnement hypnotisant à ce jeu passionnant… un monument de la musique de jeu vidéo.