Making-of : les concepts de Final Fantasy XIII

Pour développer un jeu aussi ambitieux qu’un Final Fantasy de nouvelle génération, il faut beaucoup de choses, mais les deux plus importantes sont sans doute des idées et du talent. Entre le lancement du projet et la sortie japonaise définitive, il s’est passé plus de cinq ans. Une durée de conception très longue, mais sans doute idéale pour trouver et perfectionner une histoire, un univers, un système de jeu, et atteindre le degré de qualité habituel de cette série prestigieuse. Pour comprendre les intentions des développeurs de FFXIII, cet article révèle le cheminement des idées et explique les parti-pris parfois radicaux qui ont mené à la mise au point de ce jeu unique.

Sommaire :
Aux origines, la version PlayStation 2
Le nouveau mythe du cristal
Les combats : la fusion impossible
La linéarité expliquée
Répondre aux critiques
La conception artistique


Aux origines, la version PlayStation 2

Lorsque Final Fantasy XIII a été dévoilé sur PlayStation 3 en mai 2006, le producteur Yoshinori Kitase a immédiatement raconté le début de projet tout à fait inhabituel de cet épisode : la première version était développée sur une console de la génération précédente, la PlayStation 2. Après la sortie de Final Fantasy X-2 International + Last Mission en février 2004 au Japon, l’équipe a commencé à réfléchir à son prochain projet. A cette époque, aucune console de nouvelle génération n’avait été dévoilée, il était donc tout naturel de se mettre au travail sur la PS2. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le projet FFXIII soit lancé. Pendant environ un an et demi, les créateurs ont travaillé sur un jeu PlayStation 2 inédit, avant que l’arrivée de la nouvelle génération ne vienne bouleverser les projets de l’équipe…

« La décision de changer de plateforme fait que nous avons perdu un an et demi. De plus, cette période n’était rien de plus que du tâtonnement. Mais comme nous avons tellement travaillé au tout début, nous avons pu atteindre notre vitesse de croisière bien plus rapidement que prévu. C’est pour cette raison que nous avons pu travailler sur la traduction et l’enregistrement des doublages des versions internationales aussi tôt dans le développement. »
– Yoshinori Kitase, producteur

Malgré le temps passé sur la version PlayStation 2 du titre, le développement était peu avancé au moment de son annulation. Le prototype réalisé par les développeurs était si peu avancé que les personnages n’avaient même pas été modélisés en 3D. Afin de réaliser leurs premiers tests, ils ont simplement repris des modèles 3D de leur précédent jeu, FFX-2. On pouvait ainsi voir Yuna se déplacer dans une version primitive de Hanging Edge, le premier décor de la version finale. Déjà à l’époque, ils avaient décidé de faire apparaître les ennemis sur la carte pendant l’exploration, et de séparer les combats afin qu’ils se déroulent sur une arène dédiée. Alors que la partie exploration tournait bel et bien sur PS2, les scènes de combat n’étaient que des vidéos conceptuelles, sans textures. Grâce à ces premiers essais, les développeurs ont pu mettre peu à peu en place le système de combat du jeu. L’agencement du menu était une évolution de ceux de FFX-2, avec quelques idées par la suite reprises dans le premier prototype sur PlayStation 3, la console qui devait désormais accueillir le jeu.


Un rare aperçu des tests sur PlayStation 2, avec le modèle 3D de Yuna.

Quelques mois avant l’E3 2005, Sony a demandé à Square Enix de réaliser une démo technique afin de démontrer la puissance de la PS3, un travail confié à l’équipe de Yoshinori Kitase. Pendant quelques semaines, le développement de FFXIII sur PS2 a été interrompu pour mettre au point cette vidéo en temps réel. Au retour sur PS2, les développeurs se sont sentis bien à l’étroit. Voyant cette nouvelle génération arriver, ils ont décidé d’abandonner tout leur travail pour repenser le jeu sur PS3.


Le nouveau mythe du cristal

« Partir dans plusieurs directions fait naître des histoires nouvelles. Une simple couleur peut apparaître sous d’innombrables nuances. Telle la lumière qui luit à travers le cristal, l’univers brille de ses multiples facettes. »

Les bases de l’histoire de Final Fantasy XIII ont été imaginées lors de la première année de la conception par Kazushige Nojima, le scénariste des épisodes VII, VIII et X. C’est lui, notamment, qui a eu l’idée des fal’Cie et des l’Cie, deux termes absolument omniprésents dans l’univers de FFXIII. Cependant, contrairement aux épisodes précédemment cités, Nojima n’a pas écrit par la suite le scénario du nouveau jeu. Motomu Toriyama, également réalisateur, a en effet établi les bases du scénario à partir du mythe du cristal de Nojima, non sans y contribuer lui-même. Il a ensuite fait appel à Daisuke Watanabe, un autre scénariste de son équipe, pour mettre de l’ordre dans toutes les idées, approfondir les détails et, en fin de compte, rédiger le script avec l’aide de deux autres scénaristes, Sachie Hirano (Crisis Core et The World Ends with You) et Harunori Sakemi (Kingdom Hearts II et Dissidia). En complément, Watanabe est également l’auteur des textes descriptifs de la partie « Dossier » du menu principal.

Comme cela a été annoncé dès le départ, FFXIII est fondé autour du mythe du cristal, Fabula Nova Crystallis. Contrairement à la Compilation of FFVII dont les projets se basent sur le monde de FFVII, le mythe Fabula Nova Crystallis est une notion abstraite, difficile à percevoir dans le jeu sans point de comparaison. Comme cette mythologie est à la base du projet FFXIII, elle prend pour point de départ les éléments imaginés par Kazushige Nojima. Ensuite, de nouveaux mythes sont venus les compléter grâce au travail de Motomu Toriyama, Yoshinori Kitase et Tetsuya Nomura. Pour eux, il s’agissait de créer une nouvelle fondation commune aux jeux marqués du numéro 13, qui ne serait pas nécessairement fidèle aux aspects les plus traditionnels de la série. L’absence de créatures emblématiques dans FFXIII s’explique par cette envie de se libérer de contraintes trop envahissantes. A l’origine, le moogle lui-même devait être totalement absent du jeu. Néanmoins, un designer a finalement décidé de le représenter pour l’une des boutiques.

« Les jeux portant le nombre XIII sont tous basés sur la mythologie du cristal, Fabula Nova Crystallis. Pulse est un mot-clé qui provient de cette mythologie. Par exemple, dans la réalité, il peut exister des ponts ou des rues portant des noms issus de la mythologie grecque. C’est le même principe dans FFXIII. »
– Yoshinori Kitase, producteur

Malgré tout, le Cristal, élément fondateur présent dès le premier épisode de la série, sert de tissu à cette mythologie, comme s’il s’agissait d’un retour aux sources prenant la forme d’un nouveau départ. Selon les créateurs, l’image du mythe deviendra plus claire avec la sortie des autres projets, Versus XIII et Agito XIII, puisqu’ils reprendront certains des mythes déjà utilisés dans le XIII.


Les combats : la fusion impossible

« Nous ne nous sommes pas beaucoup intéressés aux RPG occidentaux. Notre regard s’est plutôt porté sur les FPS occidentaux tels que Call of Duty, pour voir comment ils plongent le joueur dans le feu de l’action et comment les autres personnages réagissent en combat. Comme il se trouve que ce type de jeu y parvient très bien, nous y avons réfléchi pour FFXIII. »
– Yoshinori Kitase, producteur

Fort de son travail sur Final Fantasy X et X-2, l’équipe de FFXIII a une fois de plus cherché à offrir un système de combat capable de maintenir un équilibre entre l’action et la stratégie. Dans le X, le joueur pouvait prendre le temps d’analyser la situation à venir, mais chaque action était extrêmement réactive. Dans le X-2, le retour à l’ATB créait une vraie tension, mais le joueur pouvait changer de classe en plein combat. Bien qu’ils affirment ne pas avoir puisé dans les systèmes des épisodes précédents, les créateurs de FFXIII ont trouvé une influence de premier choix : le film FFVII Advent Children, dont ils ont cherché à reproduire l’intensité. Dès le début du développement, l’objectif était de produire un même degré d’action, mais avec une part importante de stratégie. C’est de cette fusion en apparence impossible qu’est née l’idée de des Stratégies, qui permet de changer rapidement les rôles de personnages en plein combat. Pour concevoir le système présent dans la version finale du jeu, les concepteurs ont avancé à tâtons pendant plusieurs années.


A gauche : l’un des premiers tests d’interface, quand le projet était sur PS2.
A droite : l’apparence du système dans la vidéo prototype de l’E3 2006.

Le système n’a vraiment commencé à fonctionner de manière satisfaisante que tard dans le développement, après la mise au point de la première démo jouable fin 2008. Le problème principal était celui de la surcharge d’informations pour le joueur. Les créateurs avaient peur que celui-ci ne puisse pas gérer en même temps la sélection des commandes pour chaque personnage et l’alternance entre les Stratégies. En fin de compte, ils ont laissé deux des trois personnages à l’IA pour permettre au joueur de prendre plus de recul. L’idée de la commande de combat automatique, qui choisit les attaques à la place du joueur, est venue ensuite pour permettre d’apprécier plus facilement l’intensité de la bataille, mais aussi d’atténuer la coupure due aux changements de Stratégies. La barre d’ATB est d’ailleurs entièrement remplie après chaque changement afin de favoriser la réactivité. Cependant, pour ne pas que le joueur abuse de cette fonction, la barre n’est remplie que si le dernier changement a eu lieu il y a plus de 12 secondes.


A gauche : l’apparence du système presque fini dans la démo d’avril 2009.
A droite : et enfin, l’apparence définitive (ici, la version américaine).

Les rôles ressemblent au système de classe de certains épisodes, mais les développeurs n’ont pas voulu leur donner les noms classiques (guerrier, mage noir, voleur, etc.) car le système est différent. S’ils ont rassemblé le plus d’idées possibles au début, ils ont finalement ramené le nombre de rôles à 6, ce qui offre déjà un large potentiel de combinaison. Au départ, les rôles Tacticien et Saboteur devaient ne constituer qu’un seul rôle, mais ils ont finalement été séparés pour un accès plus rapide à leurs fonctions. A chaque changement de rôle, les développeurs ont également fait en sorte que les personnages adoptent peu à peu une formation appropriée : les Soigneurs et Tacticiens, par exemple, s’éloignent lentement des ennemis pour éviter d’être touchés.


Pour la première fois, Shiva nous présente sa sœur.

Quant aux invocations, élément comme toujours indispensable dans la série, l’idée d’en associer une par personnage était présente dès le départ. Les développeurs voulaient en effet développer le concept de fusion, ou de symbiose pour reprendre le nom de la version française. Pour des raisons liées à l’histoire, chaque personnage possède un lien fort avec son invocation. L’équipe chargée du système de combat, menée par Yûji Abe, a cependant eu bien du mal à convaincre l’équipe artistique de la validité du mode Symbiose. Le conflit a finalement vu la victoire de la première. Deux nouvelles créatures font leur apparition aux côtés des invocations traditionnelles : Brynhildr et Hecatoncheir. Elles ont été imaginées de manière à apporter un peu de fraîcheur.


La linéarité expliquée

Il n’a échappé à personne que Final Fantasy XIII est un jeu extrêmement scénarisé. Les développeurs assument parfaitement cet état de fait. Le contexte scénaristique particulier rend impossible la présence de certains éléments classiques du genre RPG japonais : comme les héros sont des l’Cie, autrement dit des parias, ils ne peuvent pas se promener tranquillement dans les villes. Le seul moment du jeu où cela est possible est à Nautilus, avec Sazh et Vanille. Contrairement à FFX, dont la narration tournait essentiellement autour de Tidus, le XIII propose une histoire polyphonique dans laquelle chaque personnage jouable est au même rang que les autres. Ce principe a été décidé dès le début du développement. Selon les créateurs, fixer l’histoire sur un groupe de personnages est un moyen efficace de déclencher des scènes marquantes, voire choquantes. La scène dramatique entre Sazh et Vanille à Nautilus n’aurait pas été possible sans porter un regard important sur les motivations des deux personnages au préalable. C’est à travers leurs discussions que les héros comprennent leurs erreurs et décident de leur avenir.


Le nerf de la guerre.

Pour Motomu Toriyama, l’histoire de FFXIII a été imaginée de manière à se dérouler sans interruption, ce qui explique pourquoi il n’est pas possible de revenir en arrière une fois arrivé au chapitre 11. Dans celui-ci, l’histoire est soudain mise en retrait au profit de la découverte de Gran Pulse, l’une des régions les plus immenses jamais vue dans la série. Yoshinori Kitase en tire une conclusion simple : les 10 premiers chapitres sont le domaine de Toriyama, le réalisateur et scénariste, tandis que le 11e est le domaine réservé de Toshirô Tsuchida, le concepteur du système de combat. Alors que les combats de la première partie du jeu interviennent en relation directe avec l’évolution de l’histoire, ils deviennent l’élément essentiel de la deuxième partie. Cette distinction très surprenante a été souhaitée par Toriyama, qui voulait créer un contraste frappant entre Cocoon, le monde reclus, et Gran Pulse, l’immense terre sauvage. Les créateurs n’oublient pas de noter que le fait de se retrouver dans un environnement gigantesque peuplé de monstres démesurés n’aurait pas été aussi spectaculaire si le jeu n’avait pas été sur console haute définition.

« Avec FFX, nous avons essayé d’en finir avec les RPG traditionnels. Avec FFXIII, nous voulons montrer la nouvelle évolution du genre RPG. Pour être plus spécifique, dans les RPG normaux, le déroulement du jeu est généralement similaire : vous visitez une ville, vous parlez aux gens, vous sortez de la ville et vous combattez. Nous avons voulu revoir ce déroulement pour le révolutionner afin de surprendre ceux qui connaissent bien Final Fantasy. »
– Yoshinori Kitase, producteur

Mais les graphismes en haute définition sont autant un avantage qu’un obstacle. Si les développeurs veulent maintenir un degré de qualité constant mais néanmoins de meilleur niveau tout au long d’un jeu long de plusieurs dizaines d’heures, ils doivent fournir un travail gigantesque. L’équilibre entre l’innovation, la qualité et le volume est extrêmement difficile à maintenir dans un temps de développement limité. Cette tâche est d’autant plus contraignante que, à cause de l’arrivée d’une nouvelle génération de consoles, l’équipe doit renouveler ses outils de travail. La décision des concepteurs a été de réunir les aspects traditionnels du RPG sous une forme plus réduite. Par exemple, Nautilus représente les promenades en ville. Le joueur est porté d’un aspect du genre à un autre par l’histoire. Celle-ci ne le quitte jamais vraiment.


Les quatre ingrédients classiques du RPG ?

Motomu Toriyama, sur le ton de la plaisanterie, affirme que l’idée originale des développeurs de FFXIII était d’imaginer le futur du RPG avec 10 ans d’avance. Plaisanterie ou non, le fait est que pour les créateurs de cet épisode, le RPG japonais devrait évoluer vers une narration de plus en plus présente, mais renforcée par des graphismes très expressifs. Comme le développement du jeu a été très long et a nécessité le travail de plus de 300 personnes à certains moments, il est indispensable de revoir la nature du genre compte tenu des capacités des consoles de nouvelle génération.


Répondre aux critiques

Des choix trop radicaux mènent fatalement à des réactions elles aussi radicales. La place écrasante occupée par le scénario et l’exploration linéaire ont en effet agacé certains testeurs occidentaux, qui ont pénalisé le jeu dans leurs publications respectives. Pour Yoshinori Kitase et Motomu Toriyama, ces critiques sont injustifiées. Les deux créateurs n’ont pas hésité à répondre directement à ces quelques avis mitigés, et ce même si Kitase admet que, généralement, son équipe n’y prête guère attention. « Nous avons une histoire à raconter, explique-t-il, alors il est important de laisser au joueur le temps d’appréhender les personnages et de découvrir le monde dans lequel ils vivent avant de lui donner une liberté totale ». Pour les deux hommes, cela n’est pas très différent de FFVII, dont le début à Midgar est très scénarisé, avant que le joueur ne découvre la carte du monde. On peut néanmoins leur répondre que le début du septième épisode est moins long que la partie du treizième qui se déroule dans Cocoon.

« Notre but était de permettre aux joueurs de s’immerger totalement dans le récit, de découvrir le monde fantastique de Cocoon et de s’attacher aux personnages sans être distraits ou se perdre. Nous avons donc volontairement choisi un design plus linéaire pour ces sections d’introduction, afin qu’elles soient appréciées à la manière d’un film. »
– Motomu Toriyama, réalisateur

Pour Toriyama, les critiques de la presse occidentale s’expliquent également par leurs attentes, qui n’auraient pas été satisfaites. « Nous pensons que de nombreux testeurs ont considéré Final Fantasy XIII d’un point de vue occidental, se justifie Toriyama. Les RPG occidentaux vous larguent dans un monde énorme et ouvert, et vous êtes libre de vos actions ». Cependant, il explique qu’il est difficile de raconter une histoire captivante dans cette situation. La série Final Fantasy ayant toujours été bâtie autour de son histoire (c’est même la définition qu’en donnait son créateur Hironobu Sakaguchi), on ne peut que lui donner raison.

Cette explication se justifie d’autant plus que le douzième épisode, qui offrait lui un univers beaucoup plus libre, avait effectivement reçu un accueil très chaleureux auprès de la presse occidentale. Certains joueurs avaient cependant reproché à cet épisode de ne pas assez mettre en avant son scénario. C’était peut-être son seul défaut. Aussi brillant était-il, le scénario de FFXII n’avançait qu’après de longues sessions d’exploration et de combat, au risque de se faire oublier. FFXIII, même s’il n’en a pas besoin à cause de son rythme plus rapide, rappelle tous les derniers rebondissements à chaque fois que le joueur charge sa partie.