GDC 2008 : l’art de Final Fantasy

Le potentiel artistique de Final Fantasy est depuis longtemps maintenant unanimement reconnu dans le milieu. Les organisateurs de la Game Developers Conference ont donc décidé de célébrer l’art de la saga en invitant l’un de ses nouveaux maîtres, Isamu Kamikokuryô. Accompagné de l’illustrateur Steve Theodore de Bungie, le designer a détaillé son parcours, ses inspirations et ses méthodes de travail. Kamikokuryô est actuellement le directeur artistique de Final Fantasy XIII, ce qui explique le grand engouement provoqué par cette conférence. L’occasion pour le public de chanceux venus en nombre d’admirer une bande annonce du jeu, pas nouvelle pour un sou puisqu’il s’agissait de celle présente sur le DVD du magazine CLOUD sorti en décembre dernier au Japon.


Quelques rares images de la conférence, une fois celle-ci terminée bien entendu.


Qui est Isamu Kamikokuryô ?

Né en 1970 au Japon, Isamu Kamikokuryô a d’abord choisi, dès ses 18 ans, de devenir illustrateur et peintre à son propre compte. Dès 1997, impressionné par le potentiel artistique de Final Fantasy VII, il a commencé à réfléchir à entrer dans le domaine du jeu vidéo. Après avoir étudié le design par lui-même pendant plus de deux ans, il a décidé de postuler chez Square en 1999. En réponse à une offre d’emploi, il a envoyé son C.V. et la photographie d’une de ses peintures à l’huile, ce qui lui a finalement valu de rejoindre, dès son arrivée dans la société, l’équipe de développement de FFX. Sous les ordres du directeur artistique Yûsuke Naora, il a participé à la conception des décors du jeu, en particulier les villes. Ce n’est qu’à partir de son projet suivant qu’il est néanmoins sorti de l’ombre, puisqu’il devient designer des décors de FFXII, puis accède au rang suprême de directeur artistique aux côtés de Hideo Minaba. Il a ensuite supervisé la direction artistique et créé le logo de la suite, Revenant Wings. Actuellement, Isamu Kamikokuryô travaille sur la direction artistique de FFXIII et The 3rd Birthday (un dérivé de Parasite Eve sur téléphone portable).


Zanarkand et Archadès par Isamu Kamikokuryô, ça a de la gueule.

Les influences de l’illustrateur sont diverses et variées. A l’occasion de la conférence, il a donné les noms de quelques uns de ses maîtres : le peintre régionaliste américain Andrew Wyeth, le bio-designer allemand Luigi Colani, ainsi que certains dessinateurs de comics américains qu’il lisait quand il était étudiant, des plus âgés (Frank Frazetta) aux plus jeunes (Alex Ross, qui est né la même année que Kamikokuryô). C’est également un mordu de photographie, grand admirateur de Steve McCurry, et de voyages à travers le monde. Très attentif aux paysages et à l’architecture des pays qu’il visite, il n’hésite pas à les mitrailler de photos pour s’en servir comme source d’inspiration. Le public de la conférence a ainsi pu admirer quelques uns des 40.000 clichés (!) qu’Isamu Kamikokuryô a pris lors d’un voyage aux Etats-Unis l’année dernière.


Charlotte’s World d’Andrew Wyeth (1948) et le design d’un camion selon Luigi Colani.

Notez que si Kamikokuryô travaille d’arrache-pied pour Square Enix, il réalise tout de même des peintures et des illustrations dans son temps libre. Vous pouvez en trouver quelques unes sur son site personnel, accessible à cette adresse.


Quel réalisme pour Final Fantasy ?

Le sujet de la conférence était bien sûr le travail sur la direction artistique des Final Fantasy, et comment Square Enix parvient à produire des graphismes d’aussi bonne qualité. L’idée de base, selon Isamu Kamikokuryô, est que la série Final Fantasy représente une réalité stylisée, et non pas une réalité purement réaliste. Toute l’équipe artistique de la société s’accorde à dire qu’il faut absolument éviter d’atteindre la fameuse uncanny valley. Qu’est-ce que l’uncanny valley ? Ce concept, dont le nom signifie « la vallée de l’étrange » (étrange dans le sens « que l’on ne peut pas croire », « auquel on ne peut pas adhérer »), a été imaginé par le chercheur japonais Masahiro Mori pour décrire le trou béant qui sépare le réel du robotique ou du virtuel. L’être humain n’a pas de problème à souscrire au réalisme des images de synthèse, en tout cas pas si ce réalisme touche à l’hyperréalisme, auquel cas cela déclenche une situation de gêne chez le spectateur. Ironiquement, l’image de synthèse devient trop parfaite pour être crue. Il en va de même pour les robots, dont l’hyperréalisme tient généralement plus de la ressemblance avec un mort-vivant (d’où le terme anglais d’uncanny : le plus inquiétant est ce qui est presque réel) que de l’anthropomorphie parfaite à cause de cette différence aussi faible qu’indescriptible avec un véritable être humain.


C’est réaliste tout en n’étant pas absolument réaliste. C’est juste… stylisé.

« Nous devons nous battre contre l’uncanny valley », confie Kamikokuryô. « Nous ne pouvons pas nous permettre de l’atteindre. Pour chaque chose que nous concevons, la plupart des créateurs de la section se réunissent afin de faire les ajustements nécessaires pour ne pas déclencher de phémonène. D’ailleurs, généralement nous n’utilisons pas cette expression, car tout le monde garde cette idée en tête pendant que nous travaillons ». C’est la raison pour laquelle les créateurs de Final Fantasy s’efforcent de produire une réalité stylisée, qui nous semble visuellement aboutie mais qui s’éloigne d’une manière ou d’une autre d’un surplus de réalisme. Certains critiques ont affirmé que le film Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit a été victime du phénomène de l’uncanny valley, et qu’il faut y trouver les raisons de son échec dans les salles. Les personnages du film sont tellement hyperréalistes que de minuscules détails suffisent à provoquer le doute et la gêne : des animations étrangement parfaites, des cheveux plus beaux que dans les publicités, des yeux vides… En comparaison, Final Fantasy VII Advent Children a opté pour un réalisme très stylisé, où les personnages ne provoquent aucune gêne car ils ont clairement été conçus dans une optique fantasy. Les mouvements normaux tout comme l’exagération des animations passent (théoriquement) mieux avec ce type de graphisme.


L’image de synthèse photoréaliste contre le style fantasy

Plus la série avance, plus les consoles deviennent puissantes. Le potentiel offert désormais par la PlayStation 3 doit questionner les développeurs sur l’orientation qu’ils veulent choisir. Pour Kamikokuryô, il s’agit de devenir de plus en plus réaliste. Mais attention, pas pour plonger tête baissée dans l’uncanny valley, mais plutôt de représenter le jeu en s’inspirant de la réalité qui nous entoure. Tout ceci en conservant le caractère unique du design de Tetsuya Nomura, bien sûr. De toute évidence, au moins à travers le design de ses personnages, la série s’inspire généralement de la mode contemporaine. « Quand vous regardez les personnages de Disney ou Pixar, vous voyez qu’ils n’essaient pas de les rendre trop réalistes », poursuit Kamikokuryô. « Le public qui va voir leurs films comprend immédiatement leur nature simplement en regardant le style ». L’équipe de FFXIII tente elle aussi de produire un style qui se démarque du réalisme primaire. Avec la menace de l’uncanny valley, qu’ils frôlent sans tomber dedans, autant dire qu’ils ont un cahier des charges très serré. Le directeur artistique avoue d’ailleurs que la pression est omniprésente.


Méthodes de travail

La puissance des nouvelles consoles demande un personnel toujours plus grand afin de remplir les exigences des chefs d’équipe. Isamu Kamikokuryô explique à ce sujet qu’il est essentiel pour lui d’avoir une vision claire et précise de ce qu’il recherche, afin que toute son équipe puisse travailler plus facilement. Le designer avoue qu’il est nostalgique de l’époque où les équipes étaient plus réduites. Néanmoins, étant donné qu’il a commencé à travailler dans le jeu vidéo avec FFX, qui était déjà un projet considérable, on peut se demander ce qu’il entend par « réduites ». Toujours est-il qu’il a sans doute raison, et qu’il est sûrement plus facile pour un directeur artistique d’obtenir un résultat proche de ses exigences avec un petit comité plutôt qu’au milieu d’une nuée d’artistes. Cela doit être encore plus difficile avec un projet au design audacieux comme celui de FFXIII, ce que Kamikokuryô avouait lui-même dans la presse japonaise il y a quelques mois : « A cause de certaines régions qui peuvent sembler inhabituelles pour un Final Fantasy, l’équilibre global [de la direction artistique] a été difficile à établir ».


Un premier concept de la côte de Phon de FFXII, et une autre illustration d’Archadès.

En outre, Kamikokuryô a clarifié ses relations avec ses supérieurs lors de la phase de préproduction d’un jeu. Avant de commencer à réaliser des illustrations, il reçoit bien sûr les premiers jets du scénario de la part du réalisateur ou du scénariste (dans le cas de FFXIII, c’est la même personne : Motomu Toriyama). Comme il revient au directeur artistique et à son équipe de concevoir l’ambiance visuelle du titre, ils doivent donc se mettre à l’oeuvre très rapidement. Une multitude d’illustrations conceptuelles sont réalisées puis évaluées par le réalisateur. Petit à petit, l’atmosphère finale du titre est affinée. Les illustrations conceptuelles peuvent se révéler totalement à l’opposée du résultat.


Tidus et Vaan ne sont généralement pas la tasse de thé des joueurs occidentaux.

En ce qui concerne les choix des designers, l’une des questions les plus courantes dans le choc culturel qui oppose le Japon aux Etats-Unis a été abordée lors de la conférence. Isamu Kamikokuryô l’explique très bien lui-même : « Les journalistes des autres pays me posent très souvent cette question. Pourquoi les personnages japonais sont-ils généralement de jeunes hommes au physique attractif ? Je crois que la raison vient de la narration traditionnelle japonaise, où les héros sont jeunes et beaux ». Il va sans dire que le public japonais est donc plus familier avec ce type de personnage, et qu’au contact des publics occidentaux, et surtout des Américains, cela fait des étincelles. Le designer a même demandé au public « pourquoi les personnages américains sont des machos de la cinquantaine ? », ce à quoi Steve Theodore a répliqué que « c’est parce qu’ils font de meilleurs modèles 3D avec ZBrush » (un logiciel de modélisation surtout utilisé aux Etats-Unis), ce qui a bien fait rire le public (humour de développeurs, ne cherchez pas à comprendre). Tous ceux qui critiquent les héros des Final Fantasy trouvent en tout cas ici une explication à cette tendance. Qui n’en serait donc pas une.


Un aperçu de la direction artistique de FFXIII

Photographies interdites pendant cette conférence, alors impossible de découvrir les illustrations qu’Isamu Kamikokuryô a dévoilé au public présent. Ces images montraient principalement certains décors du jeu, ainsi que des véhicules. Parmi les décors, une illustration conceptuelle de Pulse et Cocoon, sûrement assimilable aux images déjà dévoilées dans la presse, exposaient les paysages hostiles de Pulse, où des monstres rôdent, avec la ville de Cocoon flottant dans le ciel telle une lune creusée d’un imposant cratère bleuté. Des décors de ville ont été révélé, certains d’inspiration maritime avec des bâtiments hauts et pointus, d’autres composés de halls en verre illuminés dans la nuit. Mais il faut bien dire que sans avoir pu admirer ces illustrations, il est difficile de décrire plus en détail leur contenu. Du côté des véhicules, l’un d’entre eux a particulièrement attiré l’attention de Steve Theodore, à tel point qu’il s’est demandé s’il ne s’agissait pas des chobocos du futur : des motos volantes vertes mi-insecte, mi-machine, chevauchées par des créatures ressemblant à des nymphes. Etrange…


Cocoon et Pulse, le ying et le yang de FFXIII.

Comme indiqué dans l’introduction, Kamikokuryô a amené dans ses bagages l’une des dernières vidéos de FFXIII, à savoir selon toute vraisemblance celle publiée en décembre. Le directeur artistique a tenté de raconter les grandes lignes du scénario, mais il était tellement limité que son interprète n’a pas pu dire grand chose. En revanche, il a clarifié l’utilisation du temps réel et des cinématiques pré-calculées, deux méthodes de représentation dont la limite en terme de qualité semble quasiment réduite à néant avec la PlayStation 3. « Les scènes de combat et d’action [de la bande annonce] sont en temps réel », explique-t-il. « Le reste est en images de synthèse pré-calculées. Ce que nous ne pouvons pas montrer en temps réel, nous le montrons en pré-calculé : il peut s’agir de scènes où les décors sont immenses, ou bien d’une séquence d’action au moment le plus fort de l’histoire, où énormément de personnages sont présents ». Ainsi, malgré la puissance de la PS3, il demeure des moments où le pré-calculé est bien plus facile à mettre en oeuvre.

Il ne nous reste plus qu’à espérer une chose : que le développement de Final Fantasy XIII touche le plus vite possible à sa fin, que nous puissions admirer le résultat de ces recherches artistiques. Ce sera sans doute largement différent de ce que la série nous a offert jusqu’à présent, mais c’est bien ça qui rend la découverte très excitante.

Sources : Joystiq, ripten, Famitsu