Test : Final Fantasy VII Remake

À peine Final Fantasy VII Remake était-il révélé aux yeux du monde, en juin 2015, que ses créateurs ne dissimulaient pas leurs intentions, et gare à celles et ceux qui rêvaient d’une restitution plan par plan. « Si nous nous contentions uniquement de refaire les graphismes du jeu, je pense que ce ne serait pas intéressant », annonçait Tetsuya Nomura, réalisateur malgré lui, à Famitsu. « Lorsqu’on fait un remake intégral, il faut qu’il suive une approche différente qui corresponde à son époque. » Par la suite, le message ne changera pas. À la veille de la sortie, le même Nomura affirmait au magazine Dengeki que le remake n’effacera en rien le FFVII d’origine. À plus d’un titre, il s’agit bel et bien d’une réinterprétation complète, pour ne pas dire un authentique nouveau jeu, à l’habillage stupéfiant de modernité. Si l’exercice comporte quelques limites, il a été exécuté avec un soin qui force l’admiration et dans lequel il est possible de voir la réalisation de lointaines ambitions inassouvies.

Final Fantasy VII Remake Logo

L’article qui va suivre aborde l’intégralité de l’intrigue de FFVII Remake. Il est donc fortement recommandé d’avoir terminé le jeu pour éviter tout risque de spoilers. La conclusion située en fin d’article a, en revanche, été écrite uniquement en des termes généraux, sans allusion explicite à des éléments sensibles.

Un pur plaisir formel

Depuis que Final Fantasy VII a donné le la du jeu de rôle japonais moderne, les développeurs de la série n’ont pas cessé de chercher de nouvelles formules capables de démontrer, à leur tour, les possibilités offertes par chaque génération de consoles. Après que FFX a tiré un trait sur la mappemonde intégrale mais schématique au profit d’une représentation réaliste du décor, diverses écoles ont coexisté, culminant dans l’étroitesse luxuriante de FFXIII et l’immensité terre à terre de FFXV. Et c’est peu dire que les différentes méthodes choisies n’ont pas toujours été populaires. Alors que Motomu Toriyama voulait anticiper dans FFXIII « le JRPG dans dix ans », le résultat – une expérience de jeu réduite à l’essentiel – a été perçu comme bien trop jusqu’au-boutiste.

Nous voici justement dix ans plus tard, témoins d’un FFVII Remake qui s’inscrit de fait dans la droite lignée de l’option linéaire de FFXIII. Or, force est de constater qu’il a digéré ce qui s’est fait depuis en termes de narration intégrée au gameplay – dans la série comme ailleurs –, et que les aspirations de ses créateurs, contrariées dans leurs précédents projets, s’y trouvent exprimées avec une qualité formelle exceptionnelle. Lors du développement du FFVII d’origine, Hironobu Sakaguchi était si emballé par les capacités de la PlayStation qu’il avait imposé à ses équipes de dissimuler le plus possible les temps de chargement pour donner au joueur une sensation grisante de continuité : défi relevé en de nombreux points, à commencer par l’impressionnante séquence d’ouverture. Impossible, alors, de ne pas penser que les chefs d’équipe du remake ont tant intériorisé l’injonction de Sakaguchi qu’ils l’ont appliquée à l’extrême vingt ans plus tard.

Véritable bonheur à prendre en main, FFVII Remake est un prodige technique dans lequel exploration, combat et narration s’entremêlent presque sans coupure visible, avec une fluidité telle que son expérience semble tout simplement couler de source. Entre autres, la mise en scène finement ciselée des boss et des courses-poursuites en moto donne le sentiment absolument exaltant de jouer au film Advent Children – autre concrétisation de l’un des désirs initiaux de l’équipe de FFXIII. Y compris la superbe bande originale, riche de nombreuses variations et de nouveaux thèmes vivifiants, semble se fondre naturellement dans l’action.

Seuls quelques décors de facture inégale et divers chargements tardifs de formes et de textures viennent noircir le tableau technique, mais l’abolition de la barrière entre cinématiques précalculées et scènes en temps réel, depuis longtemps prédite, est plus à portée de main que jamais.

De grands et de longs moments

Derrière la présentation inouïe en termes de visuels et de gameplay, il demeure la question de ce que peut apporter cette refonte à cet univers maintes fois ressassé. En premier lieu, la plus grande attention apportée aux héros est plutôt bénéfique. Le fait que les auteurs de FFVII Remake soient plus âgés et expérimentés n’est sans doute pas étranger au fait que l’écriture est plus nuancée, ce qui donne lieu à des moments doux et intimes qui sonnent juste. Même Barret, qui n’est pas un exemple de subtilité, parvient à se montrer émouvant. Par un effet sans doute non souhaité, cette plus grande authenticité en viendrait même à accentuer le caractère peu vraisemblable de certains éléments de l’histoire originale.

Les efforts apportés à l’approfondissement des relations entre les personnages – dont les membres d’Avalanche – n’en culminent pas moins lors de la séquence de l’effondrement du secteur 7, moment le plus poignant du jeu. Impact visuel et sonore, tourments des personnages, horreur de l’après : tout converge pour illustrer un drame humain avec une terrible acuité. Par un inimaginable contraste, il est heureux que les développeurs ne se soient pas défilés devant les passages les plus burlesques de l’original. Chaque fois que le jeu ne se prend pas au sérieux, cela constitue en effet une autre de ces bouffées d’air frais dans le rythme sombre et soutenu de l’aventure. Le summum est évidemment atteint par les outrances de Wall Market, qui – repensées avec intelligence et un enthousiasme contagieux – sont un authentique plaisir coupable qui fait rire de bon cœur. Tout cela contribue à faire de FFVII Remake une œuvre généreuse et captivante.

En revanche, les solutions choisies pour transformer un simple segment du FFVII d’origine en un titre à part entière ne peuvent dissimuler des étirements disgracieux, pendant lesquels l’énergie du récit principal s’étiole, faute d’apports dignes d’intérêt à l’intrigue. La séquence de l’assaut du réacteur mako n°5 (étalée sur pas moins de trois chapitres !), les égouts suivis du cimetière de trains, le laboratoire de Hojo ou même les allers et retours de Wall Market sont d’interminables prolongements du jeu d’origine, bourrés d’artifices de level design prévisibles et ennuyeux. Leurs obstacles sans fin en finissent même par agacer ouvertement les personnages !

Les segments d’exploration libre de Midgar, quand bien même ils constituent des respirations bienvenues, ne sont pas tellement mieux lotis, tant ce sont de tristes successions de couloirs dans lesquels se déroulent des quêtes secondaires souvent quelconques. Si le plaisir de la découverte fait passer la pilule, le potentiel de rejouabilité n’en est que plus réduit.

Équilibre chancelant

Une autre conséquence du réaménagement de Midgar en un seul jeu vient de la nécessité de recréer le compte-gouttes des grandes révélations. Les pièces de l’intrigue doivent en toute logique être disposées bien plus précocement, ce qui pose une tension scénaristique étouffante dès le tout début de l’histoire. Les manipulations de la Shinra exposées sans aucune finesse dès l’assaut du réacteur n°1, l’irruption cauchemardesque et inattendue de Séphiroth dans la ruelle du secteur 8 ou l’attaque des fileurs pendant la première rencontre avec Aerith sont autant d’ajouts qui alourdissent considérablement la spontanéité innocente de l’introduction de FFVII, tant le joueur se voit contraint d’assimiler presque simultanément trois menaces de natures différentes.

Ce déséquilibre est illustré presque à lui seul par le nouveau programme des apparitions de Séphiroth. Celles-ci, beaucoup plus précoces et fréquentes, dressent trop vite le portrait d’un ennemi juré de Cloud sans en évoquer les raisons, tant et si bien que le personnage ne semble exister qu’à travers la puissance de son historique. Or, cette proposition est incompatible avec l’ambition d’une réinterprétation indépendante – elle-même encore fragilisée par l’intervention quasi incompréhensible de Zack. Qui plus est, alors que la série a depuis connu tant de méchants plus nuancés, Séphiroth apparaît comme un mal absolu mais monocorde, sans densité. Le combat final contre lui, si grandiose soit-il, s’apparente à une grosse cerise de fan service qui porte avec trop d’empressement le scénario vers des sommets mythologiques, au risque de minorer par avance le potentiel des confrontations futures.

C’est là toute la difficulté d’un jeu ouvertement conçu en tant que premier épisode d’une nouvelle compilation : comment lui donner une fin marquante tout en passant le relais à la suite ? Derrière le cas Séphiroth, l’ajout le plus déconcertant du remake à la fresque de FFVII n’est autre que les fileurs. Ces arbitres du destin constituent un artifice quasi honteux prenant la forme d’un deus ex machina opportuniste qui s’interpose à chaque fois que cela arrange le scénario. Étrangères au ton du jeu, ces créatures imposent une seconde source de surnaturel dans un univers où la rivière de la vie occupe déjà ce rôle de façon bien plus symbolique que la notion de destin.

Ce complément semble d’autant plus superflu que la simple thématique de la mako est plus que jamais pertinente à notre époque où les consciences se réveillent lentement mais sûrement du rêve de l’énergie inépuisable, dont le confort, en réalité, est destructeur. Si FFVII Remake y fait des allusions fort judicieuses, elles ne sont malheureusement présentes qu’en filigrane.

Conclusion : un début radieux

Final Fantasy VII Remake est un titre remarquable, preuve de concept d’une alchimie linéaire qui fonctionne en cela qu’elle est bien adaptée au dirigisme de cette portion du récit de FFVII. Les propositions de gameplay et les ambiances vertigineuses de Midgar sont si variées qu’elles compensent volontiers les errements entraînés par la transformation du segment d’origine en une œuvre complète. Devant l’énergie communicative avec laquelle ont été réalisées bon nombre de séquences impressionnantes, il est difficile de ne pas se réjouir de voir les créateurs de Square Enix au sommet de leur art. Et ce, quand bien même on se lamente de ne pas savoir ce talent déployé sur un canevas complètement nouveau – ce qui aurait évité aux développeurs de se sentir obligés de compléter l’univers déjà prolifique de FFVII avec des éléments indigestes et peu accueillants pour le nouveau venu…

Mais par sa fluidité hors du commun, FFVII Remake est une production majeure qui constitue un alléchant avant-goût de ce que la prochaine génération de consoles permettra d’accomplir en matière d’immersion. Il faut simplement souhaiter que les épisodes à venir sachent s’en servir pour esquiver les grosses ficelles qui hantent encore celui-ci.