Test : NieR: Automata, les bénéfices de la modicité

Il est des jeux dont l’existence défie la logique. NieR: Automata, en sa qualité de suite impossible d’un titre culte mais confidentiel, en est un bon exemple. Il ne faut bien sûr pas se laisser emporter par le bonheur de le savoir en vie, car ce serait être volontairement aveugle à ses imperfections. Mais dans un monde toujours plus déchiré entre les AAA démesurés et les jeux jetables sur mobile, ce qui faisait la particularité de son prédécesseur est bien là : une troisième voie, celle d’un jeu sur console en apparence sans ampleur, mais capable de compenser ce qu’il n’a pas en technologie de pointe par un charme unique et généreux. Telle est la voie explorée depuis longtemps déjà par Tarô Yokoo, réalisateur impénétrable qui semble n’avoir de cesse de chercher à créer son opus magnum, et ce en dépit des moyens limités dont il a jamais pu bénéficier. Si but il y a, NieR: Automata en est certainement bien près.

L’économie de moyens se constate à nouveau en termes visuels, avec des graphismes techniquement médiocres qui engendrent une direction artistique bien terne ; les 60 IPS sont qui plus est légèrement toussotantes sur une PlayStation 4 normale, principalement lors des transitions entre les grandes zones. Il est pourtant difficile de tenir rigueur à NieR: Automata pour cette fragilité, tant sa richesse ne vient pas de là, mais de sa remarquable ingéniosité et de son récit captivant. Si PlatinumGames ne brille pas par ses performances graphiques, le développeur apporte un gameplay précis et racé, dépassant de très loin les simples limites d’un jeu d’action frénétique pour proposer un pot-pourri de genres ressemblant à une célébration des jeux vidéo à l’ancienne ; mais jamais en l’imposant comme un clin d’œil poussif entre initiés. NieR: Automata a l’intelligence d’être ouvert à tous, comme en veut pour preuve le mode facile et ses actions automatiques qui permettent d’apprécier l’histoire sans se soucier de ses talents de joueur. Il va même jusqu’à ridiculiser le principe des trophées en permettant de les acheter avec de la monnaie du jeu. Au feu le concours de quéquettes : ce n’est pas un trophée de platine qui dénote l’amour que l’on porte à un titre.

NieR: Automata est ainsi rempli de trouvailles de rythme et de narration, qui lui donnent tout son dynamisme. Il se détache bien rapidement de son point de départ convenu, décrivant la guerre menée contre les machines par les androïdes au service des hommes réfugiés sur la Lune, pour devenir une grande histoire de l’émergence de la conscience chez les entités mécaniques, et une réflexion intéressante sur la mémoire de l’humanité ; même si cette dernière manque un peu d’impact. Afin de dérouler son propos en plusieurs parties tout en lui ajoutant des nuances supplémentaires, Tarô Yokoo a une fois encore imaginé des astuces pour enrichir l’histoire dans chaque nouvelle « route » : la B est de loin la plus marquante, là où la C, très prometteuse, s’essouffle à cause d’un environnement de jeu sans renouvellement et d’un rythme haché et précipité qui tend à briser l’ultime ligne droite. Ainsi, malgré les magnifiques « vraies » fins, NieR: Automata laisse derrière lui le sentiment qu’il aurait pu être plus marquant, principalement dans le traitement de ses personnages. 9S, si brillant qu’il soit, n’arrive pas à faire ressortir le meilleur de 2B, qui manque de développement sur la durée. La concernant, le jeu esquisse au tout début des possibilités de transgression malheureusement trop discrètes par la suite.

S’il est certain que, grâce à l’efficacité implacable de PlatinumGames, NieR: Automata se révèle être le moins imparfait des jeux de Tarô Yokoo, cela fait ironiquement de lui un titre moins osé, loin des débordements viscéraux des Drakengard et des contemplations mystiques du premier NieR. Même les passages écrits ne sont pas aussi saisissants que dans ce dernier, du fait notamment de leur plus grande concision ; mais leur vocation semble également moins littéraire et plus spontanée. Reste qu’Automata compense ces fragilités en étant plus immédiatement élégant et séducteur que tous ces prédécesseurs, ce qu’il doit à ses personnages charismatiques au design soigné, certes, mais surtout à sa bande originale aussi superbe qu’elle est remarquablement intégrée à l’action. Jouant un rôle fondamental dans l’ambiance mélancolique et contemplative, la musique de Monaca se déploie délicatement au fil de l’exploration, portée par la délicatesse du piano, de magnifiques arrangements de cordes et des chants tantôt âpres, tantôt éthérés (vous pouvez lire ma critique de la B.O. ici).

Square Enix a fait un pari courageux en accordant au producteur Yôsuke Saitô la création du projet NieR: Automata. Au moment de finir le jeu, le constat de mes premières heures m’apparaît plus évident encore : l’éditeur se doit absolument de continuer à cultiver ce type de jeux différents, qui n’ont pas l’envergure d’une grosse production, mais dont la plus grande souplesse permet à des créateurs atypiques d’exprimer des histoires et des univers plus risqués et sincères. Grâce à sa malléabilité, NieR: Automata grouille ainsi d’idées qui brisent les barrières entre les genres de jeux et créent une expérience régulièrement renouvelée. Et ce ne sont pas ses graphismes en retard de plusieurs années ou les pistes de son scénario ayant mérité d’aller plus loin qui l’empêchent d’être une œuvre enthousiasmante.

NieR: Automata est disponible dès maintenant sur PlayStation 4 et Steam.