Éditorial : la colère infertile

Ce quatrième éditorial, le premier de 2013, revient sur un problème récurrent de Square Enix et de sa communauté depuis quelques mois, problème d’autant plus palpable après le fiasco du tout dernier Final Fantasy en date. Lequel ? Voyez ci-dessous. Naturellement, vous pouvez toujours m’écrire pour réagir.

C’est sûr, Square Enix n’est pas sur la plus saine des voies, ces temps-ci. Alors que beaucoup exprimaient déjà leur mécontentement après plusieurs portages plus ou moins opportunistes sur iPhone ou iPad, nous avons pu récemment découvrir le comble du comble, en la personne de Final Fantasy: All The Bravest. Tout, dans ce jeu honteux, invite à passer à la caisse, pour un gameplay brutal finalement peu productif. Le site américain IGN s’est même fendu d’une vidéo sobrement intitulée « N’achetez pas Final Fantasy: All The Bravest » dans laquelle on peut entendre les journalistes s’exclamer, entre autres, « vous payez 4 dollars pour un jeu qui joue tout seul ». Il faut dire que le modèle économique est particulièrement insultant, puisqu’il plonge sans aucun scrupule dans l’immoral pay to win (payer pour gagner). On a connu moyen plus discret de se payer la tronche des fans. Alors, là, oui, il y a de quoi être en colère.

Cependant, j’ai pu constater depuis un moment déjà que la colère légitime est une qualité rare. Il est délicat en effet d’exprimer un mécontentement qui semble acceptable quand d’autres passent littéralement leur temps à se plaindre, dans un ton trop vite agressif, sans trop savoir de quoi ils parlent ; situation exacerbée par les réseaux sociaux désormais à notre disposition. All The Bravest est emblématique de la période gloutonne traversée par la maison mère japonaise de Square Enix, mais il s’agit de l’un des rares cas extrêmes qu’il me semble légitime de critiquer farouchement. Cela fait quelques années déjà que les productions japonaises de l’éditeur ont du mal à nous émerveiller, mais alors que Final Fantasy XIV: A Realm Reborn se concrétise enfin, nous pouvons espérer la fin prochaine de cette période morose.
Car c’est bien FFXIV, en partie en tout cas, qui est responsable de ces deux dernières années de faiblesse. De l’aveu même du président Yôichi Wada, l’échec de la première version du jeu a contraint la société à annuler plusieurs projets sur console pour concentrer leurs équipes sur le développement d’A Realm Reborn. L’une des victimes probables est Gun Loco, qui devait sortir sur Xbox 360. Mais à vrai dire, vu ce à quoi il ressemblait, c’était peut-être un mal pour un bien.

Le même Yôichi Wada confirmait récemment son intention de retrouver le profit dans le développement de jeux pour consoles de salon à l’horizon 2014-2015 ; preuve s’il en est des ambitions de l’éditeur pour l’avenir à moyen ou long terme. La ferveur avec laquelle l’équipe du moteur Luminous présente sa désormais célèbre démo technologique Agni’s Philosophy est une autre preuve de cet espoir, même si nous pouvons y deviner que cette hypothétique renaissance attendra la prochaine génération de consoles. Espérons que l’E3 de cette année pourra révéler certains de ces futurs projets. Rendez-vous en juin prochain. D’ici là, il faudra sans doute continuer à compter sur des portages à tout va et autres jeux à contenus téléchargeables foisonnants. Economiquement parlant, c’est une manne non négligeable pour Square Enix. Cela ne veut pas dire qu’on doit y souscrire faute de mieux, en attendant le retour du printemps. Moi-même, je n’approuve pas vraiment cette direction.

En vérité, je dois avouer qu’elle me laisse généralement indifférent. De nombreux Final Fantasy historiques ont été récemment portés sur iOS ou Android, et continuent à l’être. L’un des plus récents exemples est FFIV dans sa version DS. Il n’y a rien de mal à ce qu’un éditeur cherche à rendre ses jeux disponibles au plus grand nombre en multipliant les plateformes. Mon indifférence vient du fait que j’ai déjà joué à FFIII ou FFIV sur DS, alors je n’ai aucune envie de les recommencer sur mon téléphone ; je n’aime pas beaucoup les contrôles tactiles de toute façon. Mais pour ceux qui n’y ont jamais joué et qui ont l’un de ces nouveaux supports, c’est l’occasion ou jamais. Il y a quelques petites fonctions en plus sur la version iOS ? Ayant cessé d’être un fan acharné depuis bien longtemps, je vois mal en quoi ces ajouts rendent chaque nouveau portage indispensable. Dans tous les cas, l’essence du jeu est la même.
Les conditions tarifaires de certains jeux originaux, en revanche, m’agacent beaucoup. C’est notamment le cas de ce triste Final Fantasy Dimensions, nouvel essorage d’une recette old school qui me navre. Jamais je ne débourserai 23 euros pour une telle nostalgie toussotante. Quant à Theatrhythm, je le trouvais déjà bien radin sur 3DS, alors le portage iOS me fait doucement soupirer.

Ainsi il y a des raisons d’être enthousiaste, des raisons d’être indifférent, et des raisons d’être énervé. Il suffit juste de ne pas se lancer systématiquement dans des diatribes égocentriques et unilatérales dont les justifications ne sont pas toujours à l’épreuve de la réalité. Il m’arrive de regarder les commentaires des annonces publiés sur la page Facebook de Square Enix France ; je le regrette souvent. Sous ces annonces de portages ou de jeux pour iOS, ou même en réponse à des publications sans rapport, on trouve toujours une poignée de râleurs automatiques et inlassables qui se sentent si importants qu’ils s’imaginent pouvoir être odieux. Élevant leur avis à l’état d’absolu, ils s’épanchent sur la déroute de l’éditeur parce que FFXIII ne leur a pas plu. Fiers d’eux, ils lâchent leurs petits « Terminez Versus plutôt ! » méprisants, sans comprendre que le portage d’un FFIV ou la conception d’un All The Bravest sont confiés à des équipes différentes de celle de Versus ou des autres projets pour consoles. J’avais déjà abordé ce sujet l’été dernier. Pourquoi attribuer le retard d’un jeu à des gens qui n’y sont pour rien ? Ce n’est pas une colère constructive.

A force de râler en permanence, les vrais motifs d’indignation semblent noyés dans un amas informe de critiques puériles qui n’ont finalement plus aucune substance et ne disent plus rien des problèmes qu’il reviendrait pourtant de souligner. La facilité avec laquelle il est désormais possible de s’exprimer sur les réseaux sociaux pourrait être un mal plus qu’un bien, car la colère vire trop souvent à l’insolence. Le désir de réflexion est si facilement abandonné et les discussions prometteuses sont si vite réduites à des agressions décourageantes. Pourquoi justifier une opinion négative quand on peut s’en sortir par une simple insulte ? Pourquoi d’ailleurs se fatiguer à produire un avis justifié quand il est de toute façon balayé sans considération par le premier venu ? Il faut que Square Enix comprenne à quel point cet All The Bravest est indécent, mais quel impact ce message nécessaire a-t-il quand il appartient à un nuage monocorde de railleries ?

J’ai plusieurs fois utilisé FFWorld pour exprimer mon désaccord avec l’orientation de certains jeux. Je crois notamment avoir mis assez de mauvaise foi en relayant l’actualité de 4 Heroes of Light dont l’esprit rétrograde m’horrifiait. Et que dire de mes news bilingues pour m’accorder à la localisation partielle de Dissidia 012 ? Désormais, je n’ai plus envie de montrer une telle virulence, quand bien même certains sujets s’y prêtent, de peur d’être associé à ces pisse-froid.