Square Enix détaille un tournant stratégique privilégiant « la qualité sur la quantité »

Voici bientôt un an que Takashi Kiryû a succédé à Yôsuke Matsuda à la tête de Square Enix, entamant par là même un profond examen de l’entreprise. Après plusieurs semaines d’attente, l’éditeur a publié aujourd’hui un long document détaillant le grand tournant stratégique voulu par le nouveau P.-D.G., qui devrait s’étaler sur les trois prochaines années fiscales du groupe.

En résumé

  • Square Enix prévoit d’abolir sa division en unités créatives afin de passer à une structure par projets. L’objectif est de privilégier la productivité et d’unifier la direction éditoriale.
  • La qualité sera privilégiée sur la quantité à travers des titres AAA conçus pour combler le public, tandis que les jeux de moyenne gamme seront validés de manière plus sélective.
  • L’éditeur va adopter une stratégie multiplateforme « agressive » qui verra ses jeux paraître sur PlayStation, Xbox, Nintendo et PC. Des initiatives transmédias sont également prévues.
  • Des licenciements encore non quantifiés sont prévus dans les bureaux américains et européens dans le cadre d’une réforme de leur fonctionnement.

Tout d’abord, cette présentation est intervenue parallèlement à l’annonce des résultats financiers de Square Enix pour l’année fiscale qui s’est clôturée le 31 mars dernier. Si l’éditeur a enregistré des ventes de 356 milliards de yens (2,11 milliards d’euros), soit légèrement plus que l’année précédente, le résultat brut d’exploitation a baissé de 24%, à 32,6 milliards de yens (193 millions d’euros), particulièrement du fait des coûts de plus en plus élevés requis pour le développement et la promotion de titres de grande ampleur. Un constat d’autant plus édifiant que Square Enix a publié deux Final Fantasy majeurs lors de cette année fiscale, FFXVI et FFVII Rebirth.

Mise à jour du 14 mai : d’après un article de Bloomberg, Square Enix a indiqué que les chiffres de vente de FFXVI et FFVII Rebirth ont été inférieurs aux attentes internes, et se refuse encore à communiquer des données à jour les concernant (on ignore ainsi totalement le nombre d’exemplaires distribués de Rebirth), tout en précisant qu’ils ne sont pas mauvais pour autant.

Mais surtout, le revenu net part du groupe s’est effondré de 69,7%, à 14,9 milliards de yens (88,4 millions d’euros) contre 49,3 milliards l’année précédente (292,5 millions d’euros). Cela s’explique par l’enregistrement de pertes exceptionnelles de 22,1 milliards de yens (132 millions d’euros) dues au début de la réforme de fond menée par Kiryû. En effet, un certain nombre de titres qui étaient en gestation – mais non annoncés – ont été interrompus, entraînant la perte automatique des frais engagés jusqu’à présent pour leur production. Ces annulations ont été décidées à la suite d’un examen interne qui a révélé que « ces efforts étaient incompatibles avec la nouvelle approche du groupe dans le développement de titres HD », d’après le communiqué fourni par Square Enix. Voyons donc en quoi consiste cet infléchissement.

Le nouveau plan à moyen terme

Dans sa première partie, le document revient sur les précédents objectifs de moyen terme de Square Enix et n’hésite pas à en souligner les défaillances : un manque de rentabilité dans la catégorie des jeux HD (qui couvre les titres sur consoles et PC), en particulier les productions sous-traitées ; un ralentissement de la rentabilité des jeux mobiles à cause de la saturation du marché et du vieillissement des titres disponibles ; et un manque de gestion globale du catalogue qui faisait que certains jeux se cannibalisaient les uns les autres à cause d’un calendrier trop serré. Difficile en effet d’oublier la fin d’année 2022, au cours de laquelle l’éditeur a aspergé le marché de jeux plus ou moins réussis qui ont peiné à se démarquer.

La deuxième partie décrit la nouvelle philosophie de la société : « créer de nouveaux mondes grâce une imagination sans limite afin d’enrichir la vie des gens » (elle remplace « répandre le bonheur dans le monde entier en proposant des expériences inoubliables », qui a avait été définie en 2008). À cela s’ajoutent sept grandes valeurs : proposer des expériences inoubliables, accepter les défis, agir rapidement, être plus fort ensemble, évoluer en permanence et cultiver l’intégrité. Mais comment cela va-t-il se traduire ? C’est précisément ce qu’explique la troisième partie.

C’est dans le segment HD de Square Enix que le bouleversement est le plus grand. Voici un résumé des explications fournies dans le document :

  • Premièrement, Takashi Kiryû a identifié une faiblesse organisationnelle dans le découpage en unités (les Creative Business Units, « CBU », précédemment Business Divisions, « BD ») qui a toujours été central dans le fonctionnement de l’éditeur et a assuré une bonne partie de son identité (ainsi la CBU3 est celle de Naoki Yoshida, associée à FFXIV et XVI). Résultat : le fonctionnement en unités est aboli pour passer à une structure par projets. L’objectif est d’améliorer les capacités de production en interne et de centraliser la direction éditoriale. À ce titre, Kiryû semble également cibler le trop grand pouvoir jusque-là laissé aux producteurs, ce qui signifie que leur mission sera redéfinie.

Mise à jour du 14 mai : l’article de Bloomberg se veut plus détaillé quant à la réorganisation. Au lieu d’une répartition par unités étanches, l’éditeur s’est réparti en cinq grandes équipes pour console et une équipe pour les jeux mobiles. Le but affirmé est de mutualiser plus activement le savoir-faire entre les différentes équipes, afin de trouver un meilleur équilibre entre la créativité individuelle et l’efficacité collective.

  • Deuxièmement, Square Enix souhaite se constituer un catalogue plus sélectif en privilégiant « la qualité sur la quantité ». Kiryû veut que son entreprise publie des titres AAA (des jeux console et PC à grand budget, comme FFXVI ou FFXVI Rebirth) de ses séries principales avec comme mission première de combler les attentes du public, tandis que les titres de moyenne gamme (comme NieR: Automata ou Octopath Traveler) seront validés de manière plus sélective en « privilégiant la rentabilité ».
    S’il est question de puiser dans les marques existantes du groupe, le document indique aussi que de nouvelles marques sont à l’étude, en ciblant spécifiquement de nouveaux types de technologies. À noter qu’il n’est jamais fait mention de la blockchain ou des autres manifestations du Web 3.0 dans le document, sans que l’on sache s’il faut y voir un signe.
  • Troisièmement, l’éditeur promet une stratégie multiplateforme « agressive » qui verra ses titres sortir sur toutes les plateformes du marché (PlayStation, Xbox, Nintendo, PC) au lieu de privilégier les exclusivités comme c’est souvent le cas actuellement. Il s’agit d’aller chercher de nouveaux publics partout où ils se trouvent et de les conserver, que ce soit en publiant plus activement sur PC (y compris les jeux mobiles) ou en cultivant une stratégie transmédias (qui passe par la formation d’un département dédié au développement des marques de Square Enix).

Nous devrons cependant faire preuve de patience avec de juger de l’efficacité des réformes menées par Takashi Kiryû, car ce tournant stratégique est un objectif de moyen terme. Rendez-vous donc dans trois ans pour savoir si ces changements ont porté leurs fruits.

Des licenciements dans les bureaux occidentaux

Un point du document attire cependant l’attention : la question des bureau américains et européens de l’éditeur, qui font faire l’objet d’une « remise à plat intégrale » dont l’objectif est « d’optimiser les coûts […] via des réformes structurelles » les alignant sur la nouvelle organisation japonaise. Une formulation peu rassurante, dont l’effet prévisible a été confirmé par le site Video Games Chronicle : Square Enix prévoit un « nombre non confirmé de licenciements » au cours des prochains jours, spécifiquement dans les services de l’édition et de l’informatique ainsi que dans la division Collective (dédiée à la sélection et à la publication de titres indépendants). La société s’inscrit ainsi dans la liste déjà trop longue de licenciements massifs dans l’industrie du jeu vidéo depuis l’an dernier. Le nombre de postes qui seront supprimés n’a cependant pas été communiqué, et nous ignorons si le bureau français de Square Enix sera également affecté.