FFXV : l’entretien Tabata-Sakaguchi

Comme nous avons pu le constater au cours des derniers mois, Hironobu Sakaguchi joue un rôle plutôt actif dans la campagne promotionnelle de Final Fantasy XV, même s’il est difficile de douter de la légitimité de l’homme qui a créé la série. Fin avril, le magazine japonais Famitsu proposait un long entretien entre Sakaguchi et le réalisateur Hajime Tabata, l’occasion pour les deux créateurs de discuter de la définition de Final Fantasy et de donner quelques anecdotes intéressantes. Aujourd’hui, Famitsu a publié l’entretien sur Internet, et a même proposé une charmante attention pour les fans occidentaux, puisque le texte a été traduit en anglais pour l’occasion. Je vous propose ci-dessous la traduction en français de quelques morceaux choisis.

La discussion est plus détendue et moins outrancière que ce qu’on a pu entendre ou lire pendant et après Uncovered, fin mars. En particulier, elle apporte des nuances sur ce que Sakaguchi et Tabata entendaient par le mot « challenger ». Sans surprise, il s’agissait avant tout de partir à la conquête du marché du jeu vidéo international, et non des ambitions propres à chaque jeu.

Famitsu : M. Tabata, pourquoi avez-vous demandé l’aide de M. Sakaguchi pour marquer le début de la soirée ?
Tabata : Il y a de nombreuses raisons, mais la principale est en fait mon instinct. Je voulais que M. Sakaguchi, le créateur de Final Fantasy, soit sur la scène de la présentation de FFXV et invite nos joueurs à profiter de l’événement tous ensemble. Quand nous dinions ensemble, j’ai dit à Sakaguchi que je voulais rendre à Final Fantasy sa nature de « challenger ». Ce qu’il m’a répondu, j’ai voulu que ce soit la première chose que les gens entendent lors de l’événement, alors je lui ai demandé de leur dire lui-même. Je voulais que le spectacle commence par un message sincère de notre part à destination des fans.
[…]
Famitsu : Alors le message donné lors de l’événement a été écrit par M. Sakaguchi lui-même.
Sakaguchi : Oui. C’était une version condensée de la discussion que Tabata et moi avons eue lors de notre dîner. Nous voulions faire comprendre que FFXV allait retrouver les racines de Final Fantasy en étant un « challenger » sur le marché. Mais cela ne veut pas dire que les précédents épisodes n’en étaient pas à leur manière.
Famitsu : Chaque épisode se donnait en effet son propre type d’ambition.
Sakaguchi : Nous voulions faire comprendre que cette fois-ci, le défi est plus grand que jamais.

La discussion aborde ensuite le sujet des réactions des joueurs à la suite d’Uncovered.

Famitsu : FFXV entraîne de nombreuses discussions chez les joueurs.
Tabata : C’est le pouvoir de Final Fantasy, pour sûr. Pour être honnête, je n’étais pas un fanatique de la série quand j’ai commencé à travailler chez Square Enix. J’avais beaucoup joué au premier, mais je me suis arrêté au milieu de FFII.
Sakaguchi : C’est parce qu’il a été créé par Akitoshi Kawazu. (rires)
Tabata : Je ne sais pas comment répondre à ça. (rires)
Famitsu : Je ne sais pas si c’est ce que vous vouliez dire. (rires)
Tabata : Loin de moi l’idée de dire du mal de M. Kawazu. Le système de combat basé sur le renforcement des personnages selon les attaques qu’ils subissent était très prometteur. Mais le résultat, c’était qu’on pouvait s’attaquer soi-même pour se renforcer. Je me suis trompé plusieurs fois dans mes manipulations, si bien que c’était devenu plus une corvée qu’autre chose. (rires) Bien sûr, la sortie de chaque nouveau Final Fantasy attirait mon attention, y compris quand je suis devenu développeur de jeu vidéo. Comme je savais très bien que je ne pouvais pas créer ce type de jeux chez mon précédent employeur, je me retenais de tomber amoureux de la série.
Famitsu : Vous en étiez jaloux ?
Tabata : On peut dire ça. C’est seulement après avoir rejoint Square Enix que j’ai compris combien de personnes étaient impliquées dans la création de Final Fantasy, à quel point elles travaillaient dur, et à quel point les fans sont passionnés et sincères… Tout cela est devenu palpable. Tous ces développeurs font de leur mieux pour répondre à ces attentes, et aux critiques, afin de créer cette série qui est l’un des piliers de la société tout entière. C’est en constatant tout ce qui entre dans la production de la série que j’ai commencé à l’aimer comme je l’aime aujourd’hui. Nos récents événements m’ont donné le sentiment que je suis enfin capable de contribuer à Final Fantasy.

Le journaliste de Famitsu, Katsuhiko Hayashi, dirige ensuite la discussion vers la définition de Final Fantasy. Il reprend pour cela l’une des précédentes affirmations de Sakaguchi sur ce sujet. Hayashi est d’autant plus au point sur la question qu’il avait précédemment animé une rencontre entre Sakaguchi et Yoshinori Kitase, et que les deux hommes en avaient également parlé. Vous pouvez en lire un extrait dans ce précédent article pour en savoir plus.

Famitsu : M. Sakaguchi, vous avez déjà expliqué que selon vous, il suffit d’avoir les fameuses fenêtres bleues pour faire un Final Fantasy. M. Tabata, comment avez-vous fait pour comprendre ce qui fait un Final Fantasy ?
Tabata : C’est sans doute le fait de travailler avec MM. Kitase et Nomura qui m’a le plus influencé. La passion avec laquelle ils travaillent m’a donné une bonne idée de ce que M. Sakaguchi attendait d’un Final Fantasy et des défis qu’il relevait en son nom. Et de ce qu’il faut faire pour être digne du nom Final Fantasy.
Sakaguchi : Je suis content de savoir que Kitase y a contribué. (rires) Je dis ça car je considère que c’est à lui que j’ai passé le flambeau. Je me réjouis donc tu aies pu hériter de ces valeurs à travers lui.
Tabata : Il ne m’a jamais dit explicitement comment faire, mais j’ai beaucoup appris en travaillant avec lui.
Sakaguchi : Son état d’esprit, si tu préfères. Ne faire aucun compromis.
[…]
Famitsu : M. Sakaguchi, avez-vous un conseil en particulier pour créer un Final Fantasy numéroté ?
Sakaguchi : Ça ne concerne pas seulement Tabata, mais aussi Naoki Yoshida. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’a demandé si son travail était digne du nom Final Fantasy, ce à quoi je lui ai répondu qu’il pouvait l’appeler ainsi avec fierté. Tous les deux sont clairement déterminés et dans le bon état d’esprit pour relever ce défi.
Tabata : Tu m’as dit que j’étais libre de faire ce que je voulais, ce qui m’a beaucoup marqué.

Tabata et Sakaguchi reviennent ensuite sur les conditions de leur première rencontre. Ils étaient tous les deux à PAX Prime, en août 2014, mais n’ont pas pu se croiser faute d’emploi du temps concordant. C’est finalement lorsque Sakaguchi et Kitase ont été interviewés par Famitsu, fin 2014, que Tabata a pu s’incruster et se présenter pour la première fois au créateur de la série. Ils ont dîné tous les trois à cette occasion. La suite de l’entretien aborde le sentiment de Sakaguchi après avoir pu discuter avec Tabata.

Famitsu : M. Sakaguchi, qu’avez-vous pensé de la vision de Final Fantasy de M. Tabata ?
Sakaguchi : Jusqu’à FFXIII, les jeux étaient conçus par des membres qui étaient là à l’époque de Square, Kitase y compris. À partir de FFXIV, c’est devenu une nouvelle génération de Final Fantasy. Même si cela peut sembler exagéré de parler de nouvelle génération, j’ai vraiment le sentiment que la série évolue vers quelque chose de nouveau. J’ai joué à la démo de FFXV et on m’a montré des vidéos du jeu, et j’ai pu ressentir la dévotion [de ces créateurs] pour Final Fantasy.
Tabata : Tu me l’as dit quand nous nous sommes rencontrés.
Sakaguchi : Je considère Final Fantasy comme mon propre enfant, après tout, alors cette dévotion me fait très plaisir.

Nous avions déjà appris que Sakaguchi avait joué à Episode Duscae (voyez ici). Lorsqu’il en a parlé avec Tabata ensuite, il lui a fait des remarques auxquelles il ne s’attendait pas. Par exemple, Sakaguchi avait remarqué que l’une des pattes du béhémoth passait à travers un grillage, et il trouvait cela assez désagréable que son personnage se fasse soigner par des hommes et non pas par une guérisseuse. Sakaguchi a également pu voir le film Kingsglaive, pour lequel il a fait remarquer que les yeux du roi Regis étaient trop immaculés pour son âge. En conséquence, l’équipe en charge du film a décidé de procéder à quelques ajustements. Mais pour en revenir au jeu, l’entretien aborde également la question du système de combat.

Tabata : Un autre des commentaires de Sakaguchi était que le système de combat riche en action de FFXV soit trop difficile à prendre en main pour les joueurs habitués aux systèmes au tour par tour. Il m’a rappelé de penser aux fans historiques de la série.
Sakaguchi : C’est quelque chose auquel il faut toujours penser.
Tabata : Les retours que nous avons reçus de la démo montraient qu’il y avait une distinction claire entre deux qui voulaient que les actions soient plus techniques et ceux qui préféraient que ce soit plus simple. Quand Sakaguchi m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai dit que nous pensions ajouter un mode facile, et il était d’accord avec ça.
Sakaguchi : Tabata était inquiet car aucun Final Fantasy numéroté n’a jamais proposé de choix du mode de difficulté, mais je pense que ce n’est pas un problème si on y réfléchit en ayant à l’esprit la génération actuelle de joueurs.
Tabata : Est-ce nécessaire de respecter à tout prix une tradition, tant que ce qu’on fait profite aux joueurs ? Ce ne sont pas mes mots, c’est ce que m’a répondu Sakaguchi. (rires)

Pour conclure, nous avons cette petite anecdote témoignant des relations amicales assez houleuses entre Sakaguchi et Kitase. Rappelons que les deux hommes se connaissent depuis 25 ans et qu’ils ont travaillé ensemble sur plusieurs Final Fantasy majeurs, notamment le V, le VI et le VII. À la lecture de ces lignes, on comprend mieux d’où viennent les fameuses vacheries de Sakaguchi lors d’une émission de Famitsu le mois dernier ; en plus de sortir d’une bouteille de vin, bien sûr.

Famitsu : M. Sakaguchi, avez-vous déjà donné votre opinion sur les précédents Final Fantasy numérotés ?
Sakaguchi : Oui. J’avais parlé à Matsuno quand il travaillait sur FFXII, et Kitase et Toriyama étaient venus me voir chez moi à Hawaii à l’époque de FFXIII. Nous avions eu une discussion très animée dans un restaurant de yakiniku. J’ai tendance à ne pas mâcher mes mots, et Kitase ne se laisse pas ébranler non plus. Il devait se dire : « ce vieux fou me demande encore l’impossible ». (rires)
Tabata : Kitase est coriace. J’ai pu assister à un débat endiablé au cours duquel Sakaguchi disait que Kitase savait au fond de lui ce qu’il devait faire, mais qu’il ne le faisait pas, tandis que Kitase disait que ce qu’il lui demandait n’était pas réaliste.
Sakaguchi : Je me souviens lui avoir répondu quelque chose du genre, rien n’est impossible, tu n’as juste pas essayé, tu dois sortir des sentiers battus ! (rires)