Test : Stranger of Paradise: Final Fantasy Origin

Depuis son annonce, un grand mystère entoure Strangers of Paradise: Final Fantasy Origin, nouvelle alliance entre Square Enix et Koei Tecmo. Est-ce une géniale relecture méta du premier épisode de la série ou une vaste blague de mauvais goût ? C’est en étant incapable de trancher que je me suis lancé dans l’aventure, quelque peu attristé de savoir qu’un jeu imaginé par Tetsuya Nomura et Kazushige Nojima puisse inspirer une telle méfiance. Mais l’un comme l’autre n’ont pas toujours eu que de bonnes idées, alors nous y voilà…

Le jeu a été testé sur PlayStation 5 à partir d’un code fourni par Square Enix. Cet article ne comporte pas de spoilers directs, mais aborde tout de même la thématique globale de l’histoire.

En préambule, je me dois de faire une confession. Je n’ai plus aucune patience pour les jeux au gameplay « exigeant » (c’est mon mot tarte à la crème pour ne pas dire « difficile »). Je suis certain qu’Elden Ring est une expérience phénoménale pour qui s’y investit pleinement, mais cela ne m’intéresse pas. Le fait que Stranger of Paradise emprunte cette voie avait de quoi m’inquiéter, car je soupirais à la simple idée de peiner devant le moindre ennemi un peu coriace ou de mourir à maintes reprises contre chaque boss. La vie est trop courte pour s’infliger ça, non ?

C’est donc en mode facile – pardon, « flegme » – que j’ai joué à cet épisode, plus intéressé par l’histoire et l’univers qu’il propose. Même si les développeurs assurent qu’il est tout à fait normal de jouer de cette manière, je sais que cela invalide une bonne partie de mon point de vue sur les combats, car le mode flegme permet d’écraser aisément tous ses adversaires en utilisant la force brute et un minimum d’esquives. Certes, cela donne lieu à du bourrinage peu satisfaisant sur la durée, mais la diversité des armes et techniques due au très grand nombre de classes n’en crée pas moins des sensations brutales grisantes. La profondeur du gameplay de combat est tout à fait palpable, de même que sa richesse de contenu.

On ne peut pas en dire autant des donjons, qui sont les seuls environnements que l’on peut explorer dans cet épisode. Si quelques-uns arrivent à proposer des mécaniques un peu plus engageantes, leur conception est dans l’ensemble très plate et dirigiste, l’accent étant clairement mis sur les combats. En l’absence d’autres types de lieux à visiter, le reste est anecdotique voire risible, à commencer par les discussions avec les habitants de la ville de Cornélia : celles-ci se font via le menu principal et sont d’une stupéfiante inutilité, à tel point qu’on arrête vite de se les infliger.

Toujours est-il que si le jeu vous intéresse, mais si vous redoutez les systèmes riches en action, le mode flegme rend l’expérience tout à fait accessible et permet de traverser l’histoire en une quinzaine d’heures maximum sans buter sur des boss imbattables. Il est d’ailleurs possible de changer le niveau de difficulté en cours de route. De ce point de vue-là, Stranger of Paradise se veut accessible, ce qui est un très bon point pour un jeu portant le nom Final Fantasy.

Pour ce qui est des autres atouts traditionnels de la série, le constat est plus mitigé. Sans être absolument indigne, la partie technique n’offre guère de prouesses. Il était délicat d’en attendre trop d’un jeu développé simultanément sur cinq plateformes, dont deux sont de la génération précédente. Ce qui surprend le plus, ce sont les grandes disparités d’ensemble. Si les modèles des personnages sont très soignés, jusqu’à leur immense garde-robe, on ne peut pas en dire autant des décors. Sombres et monotones, ils ne comptent qu’une poignée de détails plus attrayants, ce qui ne fait guère honneur à leurs sources d’inspiration des quinze épisodes de la série.

Sur PlayStation 5, le jeu a pour avantage de viser les 60 images par seconde, sans y arriver de manière constante, mais n’élimine guère les ombres baveuses et l’effet de crénelage, très prononcé. Au moins, les chargements sont rapides.

Musicalement parlant, le constat est assez proche. Très bien adaptée à l’ambiance ténébreuse, mais peu mémorable, la bande originale de Stranger of Paradise se démarque rarement. Elle le fait principalement par le biais des thèmes des anciens épisodes qu’on discerne lors de l’exploration et des combats de boss, reprises qui optent pour des évocations discrètes et éthérées – un choix plus intelligent que des arrangements trop limpides. Si le thème principal de Naoshi Mizuta est peu subtil, la bande-son se distingue aussi par une poignée de magnifiques mélodies orchestrées, dont le thème « Solitude » entendu vers la fin du jeu.

Et maintenant, passons au gros morceau. Que raconte Stranger of Paradise, en fin de compte ? En avançant dans l’histoire, on navigue longtemps dans le flou quant à l’intention des créateurs. S’agit-il d’un jeu sérieux, second degré, voire méta ? La question se pose d’autant plus qu’il hésite entre des scènes aussi solennelles qu’un Final Fantasy classique, quoique fort insipides, et quelques outrances inattendues, qui ont déjà largement fait parler d’elles. Et, même si l’hypothèse de la blague assumée est à exclure – ou, pourquoi pas, celle d’un pastiche de la narration simpliste des premiers FF –, il est en effet difficile de ne pas admettre une grande gêne devant les passages les plus décalés.

De fait, ces moments sont en réalité rares, et ils le sont de plus en plus au fil de l’aventure, au profit de grosses ficelles plus maladroites et prévisibles, ainsi que d’un rythme répétitif qui ne fait que retarder artificiellement les grandes révélations. Au long cours, c’est donc le sérieux qui l’emporte. Mais pas de quoi s’en réjouir pour autant, car les grandes considérations sur l’équilibre entre lumière et ténèbres et sur le sens à donner à sa vie face aux absurdités d’un monde cruel ont le goût du réchauffé. Un autre Final Fantasy a récemment abordé ces sujets avec nettement plus de virtuosité (indice : c’est un MMORPG), mais il est vrai qu’il s’est donné pour cela plus de temps et d’application…

L’intention de départ, à savoir la narration des événements qui ont mené à la naissance du grand méchant du premier FF, est une idée peu originale – surtout pour qui a regardé des films ou des séries ces dernières années. Elle n’en est pas moins intéressante. Le personnage de Jack Garland parvient même à être touchant à la fin du jeu, bien loin de ce qu’inspire le contact initial.

Il est simplement dommage que tout cela soit si précipité, faisant que le jeu peine à investir le joueur dans sa tentative, tant celle-ci est trop laborieusement racontée. Il y a notamment la méthode éculée des autres personnages qui en savent plus qu’ils ne veulent le dire, mais miment l’ignorance au vu et au su du joueur – l’un des petits travers de FFVII Remake également, en nettement plus agaçant dans le cas présent. Le plus absurde se produit quand, en plein gameplay, les compagnons du héros parlent de ce dernier en aparté… mais à voix haute, juste derrière lui. Le tout, sans oublier l’artifice facile des extraits de journaux, textes faussement mystérieux distillés on ne sait trop comment dans les différents niveaux. Une manière bien fade de susciter de la curiosité.

Bien loin du chef-d’œuvre subversif, Stranger of Paradise: Final Fantasy Origin restera un jeu de seconde gamme vite oublié, aux idées d’histoire mal exploitées, à la technique fragile et à l’univers trop décousu à force de chercher les allusions abstraites à l’héritage de la série. Il est triste que le nom de la série soit associé à ce genre de tentatives bancales, qui auraient mérité bien plus d’investissement et d’application. Reste un gameplay fort complet, bien que je ne sois pas légitime pour en juger tous les raffinements.

Des soucis de sous-titrage

Un autre souci de Stranger of Paradise est spécifique à sa localisation en langue française. En effet, il arrive régulièrement que les sous-titres soient mal découpés, au point que certains restent trop peu longtemps à l’écran pour être lus en entier, tandis que d’autres, plus courts, persistent de manière anormale. Cela vient s’ajouter aux différences parfois majeures de sens si vous jouez avec les doublages en anglais et les textes en français, mais il s’agit là d’un problème plus global des productions de Square Enix. Il n’est d’ailleurs pas dû à la traduction française, qui est souvent très fidèle au japonais, mais à la version anglaise, qui fait l’objet de lourdes réécritures par l’équipe de localisation. En l’absence de doublage français qui offrirait une expérience plus immersive, le décalage est d’autant plus choquant.