Éditorial : l’obsession rétrograde

C’est triste à dire, mais il m’arrive parfois d’espérer que Final Fantasy VII n’ait jamais existé, juste histoire d’avoir la paix. Comment peut-on en venir à éprouver du dégoût pour un épisode avec lequel on a découvert la série et dont on sait qu’il est formidable ? Si vous avez envie de poursuivre la discussion, n’hésitez pas à m’écrire.

Dans Final Fantasy XIII-2, Lightning disait : « L’être humain est faible, il préfère le passé heureux au futur incertain ». J’ignore si les scénaristes voulaient laisser là un message implicite, mais il me semble plus pertinent que jamais. Depuis que Square Enix a eu la bonne idée d’utiliser la séquence d’ouverture de FFVII pour sa démonstration technologique de la PlayStation 3, il flotte chez les fans de Final Fantasy l’idée qu’un jour, un remake intégral du jeu sera créé sur les consoles actuelles. J’ai même pu voir chez certains l’envie que l’éditeur interrompe ses développements toutes affaires cessantes pour lancer le projet d’un FFVII HD, comme s’il s’agissait du seul moyen de leur faire aimer Final Fantasy de nouveau. Si vous êtes de ces gens-là, j’ai une question à vous poser : qu’est-ce que ce FFVII refait nous apportera vraiment ? En définitive, ce sera toujours le même jeu, il sera plus joli simplement. Mais la série a déjà connu son septième épisode, alors la priorité est-elle vraiment à nous remontrer ce que nous connaissons déjà ?

La vérité, c’est que cela ne changera rien. Au contraire, je suis certain que nous y perdrions quelque chose. Pas seulement pour le jeu en lui-même, car une refonte en HD pourrait révéler des faiblesses méconnues du titre d’origine comme ce fut le cas pour FFIII DS, mais aussi pour la série elle-même. Le temps perdu à satisfaire ce caprice ne serait pas consacré à la création d’un véritable nouveau jeu. Ce dernier, qu’il vous plaise ou non en fin de compte, serait pourtant bien digne de Final Fantasy car il tenterait de nous proposer un monde nouveau. L’idée que les talents de Square Enix soient gâchés à refaire un jeu que nous connaissons déjà tous par cœur m’est insupportable. Même les suites directes, telles FFXIII-2 ou Lightning Returns qui je le sais ne font pas l’unanimité, sont des projets plus ambitieux qu’un simple remake.

L’année dernière, le président Yôichi Wada admettait d’ailleurs qu’il ne voulait pas se lancer dans un tel projet, de peur que cela ne tue la série. Le problème, c’est que son explication pour cela a de quoi faire soupirer. Selon lui, FFVII n’aurait tout simplement jamais été surpassé et succomber à un remake serait admettre l’échec de tous les épisodes récents. En ces termes parfaitement arbitraires, Wada ne pouvait pas trouver meilleure insulte à l’encontre de ses développeurs. Ce qui est regrettable, c’est que malgré son explication plus que douteuse, il n’a pas tort sur un point : plutôt que de céder à la facilité pour s’assurer un état de grâce éphémère, les équipes au travail sur les nouveaux Final Fantasy ont tout intérêt à profiter du long héritage de la série pour tenter de créer le meilleur jeu possible. Et ce, quels que soient ses choix de conception. Dans l’idéal de Final Fantasy, les succès passés sont des encouragements à toujours se surpasser, pas à se reposer sur ses lauriers.

Cette déclaration de Wada prouve que le problème est bien celui de l’idée que l’on se fait de ce septième épisode. A me lire, vous devez sûrement vous dire : « Ce type n’aime pas FFVII ! » C’est pourtant tout l’inverse. J’ai découvert Final Fantasy en 1998 grâce à lui et j’en garde aujourd’hui encore des souvenirs émus. C’était la première fois qu’un jeu vidéo m’emportait dans une aventure aussi incroyable. Si je suis là aujourd’hui, à écrire cet éditorial, c’est grâce à lui. A l’époque, Internet aidant, on pouvait vite comprendre à quel point ce titre était adoré. Mais depuis, il me semble que ce consensus paisible s’est transformé en une forme d’obsession rétrograde, de goût inquiétant pour la confortable nostalgie. Aujourd’hui, cet incessant relent m’épuise. L’étendue de ce problème s’est particulièrement matérialisée sous mes yeux il y a deux ans, quand j’ai découvert l’article au titre sans équivoque du site anglais Computer & Video Games : « Pourquoi Final Fantasy VII est un RPG imbattable ». Pas même une question. Une simple affirmation.

Naturellement, ce genre de site généraliste abuse des titres aguicheurs et des formulations provocatrices pour attirer les lecteurs, surtout sur des sujets où il est si facile de séduire les fans d’une série soi-disant en péril. Cet article, toujours est-il, illustre le piédestal illusoire sur lequel Final Fantasy VII a été placé et l’aveuglement presque béat qu’il inspire chez les affamés de bon vieux temps. Dans cet article rempli d’affirmations péremptoires, l’auteur semble vouloir parler pour tous, par exemple lorsqu’il écrit que « chaque nouveau FF a eu son système de combat alambiqué, mais nous ne les avons jamais autant appréciés que celui du VII ». Il me semble pourtant évident que « nous » avons tous notre propre opinion sur la question. Ailleurs, on lit que le jeu était une « master class en termes de narration et de rythme ». Après avoir naturellement été épaté par les moments les plus intenses de l’histoire lors de ma première partie, j’ai constaté lorsque j’y ai rejoué quelques années plus tard la présence de passages à vide, lors du CD1 notamment. Rien à voir avec la master class chantée par l’article, mais ce n’est pas grave. FFVII a ses qualités et ses défauts, comme les autres.

Seulement voilà, il n’y a pas grand risque à dire du bien d’un jeu unanimement apprécié, alors pourquoi ce rédacteur devrait-il se fatiguer à argumenter son propos ? Bien que je chérisse FFVII sans doute autant que beaucoup d’entre vous, je regrette qu’il ait brouillé le message de la série et qu’aujourd’hui, trop nombreux soient ceux qui voient en lui la forme absolue d’un Final Fantasy. Comme je viens de l’indiquer, il n’est à mes yeux pas plus parfait qu’un autre. Son aura a été simplement accentuée par l’impact qu’il a provoqué en son temps, comme The Legend of Zelda: Ocarina of Time dans le monde de l’aventure en 3D. En vérité, je me méfie toujours des jeux anciens trop populaires. Il est naturel de saluer aujourd’hui ces géniaux précurseurs. Néanmoins, à force de ne les voir qu’à travers les goûts de leur époque, sans le recul que devraient apporter le temps et les autres titres sortis depuis, on peut se trouver dénué de regard critique. On fait trop confiance aux beaux souvenirs des jeunes gens que nous étions. Mais FFVII est sorti il y a quinze ans.

Et il y a eu plein d’autres épisodes depuis. L’aura qui émane du VII retient selon moi ses successeurs de briller, des épisodes pour lesquels j’ai moi-même beaucoup d’affection. Parmi les victimes se trouvent certains de mes préférés, FFIX et XII les premiers. Je sais que nous avons été très nombreux à être enchantés par le premier mais je ne vois que trop peu d’amour pour lui sur Internet. Son merveilleux univers imaginé par Sakaguchi lui-même mérite autant sinon plus d’enthousiasme que le souvenir fantasmé de Cloud ou Sephiroth. L’enthousiasme qui entoure ce type de redécouverte me rassure toujours, mais il n’est que trop rare. Quant au XII, je désespère de le savoir si méconnu, si dénigré, alors qu’il incarne une richesse si rare dans le jeu vidéo. Si j’ai autant apprécié tous ces jeux, même ce FFXIII qu’il faut détester, c’est parce que j’ai savouré leurs qualités saisissantes sans me préoccuper du passif de Final Fantasy. Peut-être que je ne suis pas un fan très exigeant, c’est vrai. Mais si cela me permet d’aimer des jeux généreux, ça m’est bien égal.

Laissons donc Final Fantasy VII à sa place. Nous irons sans doute beaucoup plus loin en cessant de tout ramener à lui. Pour que Final Fantasy reste Final Fantasy, il faut que ses créateurs continuent à tutoyer le risque, car c’est bien comme cela qu’ils parviendront à nous surprendre.