Critique : Final Symphony II, la musique de Final Fantasy au sommet

Depuis les années 2000, le producteur allemand Thomas Böcker du studio Merregnon explore une forme nouvelle du concert de jeux vidéo. Abandonnant le simple enchaînement de morceaux fidèlement arrangés, ses programmes voient chaque jeu transformé en d’ambitieuses suites de musique symphonique contemporaine, que l’on peut apprécier en tant que mélomane, sans même connaître l’œuvre originale.

L’intérêt n’est plus dans l’appel aux souvenirs du joueur, mais dans l’exercice de création artistique pure à partir d’un matériau évocateur, tout comme les mythes et les contes ont inspiré les compositeurs modernes. Cette démarche a triomphé en 2013 dans l’époustouflant Final Symphony, où les airs de FFVI, X et VII épousent le programme typique d’un concert classique : poème symphonique, concerto et symphonie. Fort de cette réussite, Merregnon nous est revenu en 2015 avec Final Symphony II – car qu’y a-t-il de moins « final » que Final Fantasy ? Moins strictement formel, ce concert offre quatre suites symphoniques, d’une vingtaine de minutes chacune, cette fois-ci consacrées à FFXIII, IX, VIII et V. Or, si le premier Final Symphony a rapidement connu une sortie en album, enregistré à Abbey Road par l’orchestre symphonique de Londres, le second est resté exclusif aux salles de concert pendant des années – cruelle sentence pour qui a eu, comme moi, le plaisir d’assister à l’une de ses représentations…

Mais, preuve qu’il ne faut jamais désespérer, l’événement tant attendu est enfin arrivé : Final Symphony II sera publié le 4 août prochain au format numérique, enregistré par l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm sous la direction d’Andreas Hanson, et j’ai eu la chance de l’écouter en avant-première. Le constat saute vite aux oreilles : une fois encore, nous avons affaire aux réorchestrations les plus remarquables de Final Fantasy, richement pensées et exécutées.

Vous pouvez précommander Final Symphony II dès maintenant pour 10 € sur Bandcamp, ce qui vous permet d’obtenir immédiatement le concerto pour piano de Final Fantasy IX. L’album sera également proposé sur d’autres services de musique en ligne. Plus de détails sur le site officiel.

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Au programme ce soir…

  1. Fanfare – In a Roundabout Way
  2. FINAL FANTASY XIII – Utopia in the Sky
  3. FINAL FANTASY IX – For the People of Gaia
  4. Rappel : FINAL FANTASY IX – Not Alone
  5. FINAL FANTASY VIII – Mono no aware
  6. FINAL FANTASY V – Library of Ancients
  7. Rappel : FINAL FANTASY V – Battle at the Big Bridge
  8. Rappel : FINAL FANTASY – Main Theme

Tout commence par une virevoltante fanfare d’ouverture, In a Roundabout Way (« par un chemin détourné »), nouvellement composée par l’orchestrateur finlandais Jonne Valtonen, fidèle de ces concerts. Si courte soit-elle, cette mise en bouche passe d’un début vigoureux puis solennel à une portion plus tranquille, où se dessine le Prelude de Final Fantasy, avant de mener à un grand final énergique qui, quant à lui, esquisse le thème de la série. Nous voilà dans le bain !

Final Fantasy XIII – Utopia in the Sky

On ne célèbre jamais assez la richesse thématique de la musique de FFXIII. Se détachant des airs emblématiques de Nobuo Uematsu, Masashi Hamauzu a créé sa propre fresque surnaturelle – encore aujourd’hui l’une des bandes originales les plus abouties de la série. Arrangée par Hamauzu lui-même et orchestrée par Jonne Valtonen, la suite Utopia in the Sky (« l’utopie dans le ciel ») balaie les moments les plus graves de FFXIII au profit d’une balade colorée et émouvante dans son univers futuriste, fondée sur les mélodies des quatre principaux personnages féminins de l’aventure. Il en résulte une pièce d’autant plus enthousiasmante qu’elle est en grande partie pensée par son compositeur d’origine, comme une relecture fraîchement mûrie.

Après une imposante ouverture sur le thème de Lightning, le nouveau Prelude écrit par Hamauzu pour le jeu marche de ses pas évasifs et cristallins, avant de culminer dans son éblouissante fanfare – la même qui était ensuite sublimée à la fin du jeu par le morceau Miracles. Vient alors le thème de Vanille, trop souvent négligé et pourtant d’une sublime fraîcheur. Son arrangement à la beauté claire et sincère se fait presque romantique lorsque les cordes s’envolent, bercées par le miroitement des vents et du piano.
Sans transition éclate la musique de Nautilus, déjà l’une des plus grandiloquentes du jeu – mais, après tout, il n’est jamais qu’à l’image de cette cité artificielle. Elle est cependant ici revisitée avec plus de nuances, notamment dans une introspection magique au hautbois, au piano, puis à la flûte.
La pièce s’offre ensuite son moment le plus ludique grâce à l’esprit leste et imprévisible du thème de Fang, évocation du monde sauvage de Gran Pulse où s’enchaînent les sections tantôt effrénées, tantôt désinvoltes. L’énergie frénétique des cordes se transmet même au passage suivant, qui fait une entorse à FFXIII pour reprendre fidèlement le morceau The Song of the Savior – Grand Finale – de Lightning Returns, grandiose restitution théâtrale du thème de Lightning, qui fait honneur au charisme de l’héroïne. Malgré sa fin aux accents d’apothéose, la pièce continue.
La véritable conclusion voit l’élégant thème de Serah, symbole de la promesse des retrouvailles, s’exprimer avec émotion sur des cordes miroitantes. Puis le final explose, restitution de l’Ending Credits de FFXIII dans un grand débordement à la fois serein et exalté.

Final Fantasy IX – For the People of Gaia

Cruellement sous-représenté dans l’héritage musical de la série (notamment à cause de l’absence d’un album d’arrangements digne de ce nom en dehors d’une compilation pour piano), Final Fantasy IX reçoit sans doute dans Final Symphony II sa plus belle réinterprétation. Elle prend la forme d’un concerto pour piano en quatre mouvements ininterrompus, signé de l’orchestrateur Roger Wanamo – lui aussi finlandais et habitué de ces concerts. En une vingtaine de minutes, il parvient à exprimer toute l’élégance romantique et chaleureuse de cet épisode inoubliable, successivement portée par les thèmes de Djidane, Bibi, Grenat et Kuja. Un véritable rayon de soleil.

Tout commence sur les toits d’Alexandrie par le lever de soleil orchestral de Memories Erased by a Storm, avant que n’entre paisiblement en scène le piano sous les doigts de Mischa Cheung, qui nous emporte vers le thème de Djidane. Rarement cité, celui-ci se révèle dans toute son énergie solaire et spontanée. Une fois l’élan donné, voici la mémorable Festival of the Hunt, plus expressive que jamais entre son piano martelé, ses cordes acerbes et ses vents malicieux. Et gare à celui ou celle qui perçoit, en fond, une précoce évocation du thème de Kuja…
Après un emprunt aussi bref que bienvenu de l’air de Bloumécia, la deuxième partie introduit un autre tube : le thème de Bibi. Piano et orchestre s’amusent à esquisser le petit mage dans toute sa maladresse touchante, non sans quelques moments plus majestueux, mais toujours avec un délicieux détachement espiègle. Et pourtant ! Tout s’emporte soudain dans une vague tumultueuse, qui débouche sur Mourning the Sky, où la complainte de la trompette est seulement consolée par les cordes enveloppantes.
Le moment est bienvenu pour ouvrir son cœur à la troisième partie, lancé par une émouvante reprise au piano seul du thème de Grenat – la fameuse Melodies of Life. Peu à peu, l’orchestre se met à vibrer avec exaltation, jusqu’au sublime chant du violoncelle secondé par le violon. Le refrain se fond en un autre trésor : Unrequited Love, thème éblouissant de l’amour impossible, qui s’évanouit avec tendresse dans l’envolée finale de The Song of Zidane and Dagger.
Mais trêve de poésie. Sans transition, la quatrième partie commence sur l’appel menaçant des cuivres qui posent le thème de Kuja. Le piano prend leur suite avec vigueur, menant à la marche véhémente de Silver Dragon, dans laquelle Wanamo glisse avec malice la mélodie du grand méchant. Au bout du tourbillon furieux, l’ultime bataille se profile : au piano seul, The Final Battle s’interrompt seulement pour récapituler les thèmes de Kuja, Grenat, Bibi et Djidane dans une spirale ténébreuse. L’air de Grenat finit par s’élever au-dessus du chaos dans une exultation d’où piano et violon sortent vainqueurs, comme un couple célébrant la force de l’amour. Une dernière éruption vient clore ce somptueux concerto.

Final Fantasy VIII – Mono no aware

La suite dédiée à FFVIII porte un nom curieux : Mono no aware. C’est un de ces fameux concepts japonais difficilement traduisibles, littéralement « l’empathie pour les choses » – en réalité, la perception mélancolique de l’impermanence du monde, de l’écoulement du temps. Dans ce poème symphonique d’une vingtaine de minutes, l’orchestrateur Roger Wanamo a voulu exprimer la fin de l’enfance et la peur de l’avenir, idées qui hantent le héros Squall. Pour cela, il a puisé dans tous les registres musicaux de FFVIII grâce à ses mélodies marquantes, que Wanamo entremêle avec brio – l’un de ses plus grands talents. Ainsi l’amour et l’amitié semblent lutter contre le mal sournois, hésiter maintes fois, et finalement triompher en toute simplicité.

L’œuvre s’ouvre bien entendu sur l’inoubliable Liberi Fatali, transposée avec fidélité pour orchestre seul. D’emblée s’amoncellent les nuages sombres, et ainsi la musique est ballottée par des vents contraires. Le tumulte s’achève sur une note morose de violon qui se dissipe dans l’air solennel de The Oath, associé à Squall, et immédiatement marié aux thèmes Ami et Eyes On Me, comme les trois piliers du héros – le tout, avec une touchante sobriété. Ses certitudes s’effacent quand il est pris dans un tourbillon paradoxal mêlant The Oath et le thème des sorcières. Le monde autour de Squall se fait des plus incertains.
Mais le plus grand imprévu est celui de l’amour, et voici que s’invite Waltz for the Moon dans sa rondeur délicatement romantique, dont un segment plus taquin rappelle la célèbre scène du bal où Linoa mène la danse.
La légèreté n’est que de courte durée, alors qu’éclate la toujours aussi entraînante The Landing, à laquelle Wanamo a laissé sa frénésie guerrière, tout en y glissant successivement le thème des sorcières, tout en menace cristalline, et The Oath. La suite plonge dans un passage ambigu, où couvent à la fois une menace sourde et l’attraction ensorcelante d’Edea – celle-là même qui a déjà consumé Seifer. Une évocation orchestrale du fameux fithos lusec wecos vinosec dissipe le doute, et la mélodie prend la forme plus énergique de Premonition, suivie de The Landing, qui cèdent finalement la place à Don’t be Afraid, comme un bref moment de bravoure de Squall.
Il se laisse pourtant dévorer par la ritournelle éthérée de The Extreme, qui exacerbe plus encore le conflit. Une grande marche commence : tout l’orchestre est traversé par le jeu de réponses entre le thème des sorcières et The Oath – le mal contre le courage, jusqu’à ce que ce dernier, rejoint par Eyes On Me, image de Linoa, entraîne le triomphe dans une apothéose amoureuse. Tout s’achève par le miroitement paisible des mélodies entrelacées de The Oath, Ami et Eyes On Me, car la victoire a été acquise sans héroïsme inutile. Et la pièce de se clore sur de superbes harmoniques apaisées…

Final Fantasy V – Library of Ancients

Intitulée Library of Ancients (« la bibliothèque des anciens »), la suite consacrée à Final Fantasy V est une impressionnante réécriture signée Jonne Valtonen. Celui-ci a fait le choix étonnant d’utiliser Musica Machina, le thème rude et répétitif des ruines de Ronka, pour ponctuer son récit comme une incessante marche en avant. En évoquant cette antique construction aérienne, il imagine les héros voler de péripétie en péripétie dans leur grande quête pour retrouver les cristaux et vaincre l’horrible Exdeath. Toute l’étrangeté du monde de FFV s’y exprime, alors que les morceaux sont rarement retranscrits tels quels, mais déployés dans de nombreuses variations tour à tour inquiétantes, mystérieuses ou introspectives… jusqu’à un final démesurément triomphal. Un voyage absolument grandiose.

Stupéfiante entrée en matière, Musica Machina est tout de suite martelée dans ce qu’elle a de plus intimidant. Mais ce n’est rien à côté d’une première exposition de la mélodie d’Exdeath, vite apaisée par l’aventureux thème principal. Les enjeux étant posés, l’air de Reina (qui symbolise ici le groupe de héros) s’installe avec grâce, fort de la délicatesse de la harpe et des vents. Un voile de mystère se lève pourtant : le périple commence avec Sealed Away, thème des donjons à la fois grave et encourageant, où le piano s’offre quelques écarts malicieux.
Mais le monde est hostile, et la menace omniprésente. L’imposant thème du château d’Exdeath ne tarde pas à se présenter. Est-ce l’ultime bataille ? Pas encore. Après une ponctuation de Musica Machina, un calme précaire ouvre la voie à Slumber of Ancient Earth, tel un moment de découragement des héros. Leur mélancolie est rompue par l’entrée de Spreading Grand Wings, l’un des airs les plus héroïques de FFV, d’abord une plainte s’élevant des cuivres, mais qui s’illumine finalement, les instruments se répondant comme si les personnages s’encourageaient mutuellement.
Pas le temps de se réjouir : les cordes hachées rappellent la présence d’Exdeath, dont le thème est interrompu par une reprise du Battle 1, léger et entraînant. Il s’obscurcit cependant pour mieux annoncer Prelude to the Void, thème de la faille interdimensionnelle qui a troqué son héroïsme original au profit d’une charge plus ambiguë. Cette fois-ci, l’heure est à la véritable confrontation finale. Après les cordes spectrales de Musica Machina et le thème principal tout juste susurré au piano, le château d’Exdeath revient inévitablement, suivi – à nouveau – du thème principal qui tente de s’extirper du mal malgré sa rythmique pesante. Une évocation de The Decisive Battle marque l’apothéose de la bataille.
Silence. L’obscurité n’est agitée que par la gravité du piano et des contrebasses annonçant la reprise de Sorrows of Parting, passage lent et affligé qui rappelle aux héros les sacrifices de leur épopée. Or, le combat est bel et bien gagné, et la musique s’éclaircit peu à peu avec l’entrée du reste de l’orchestre, où le thème principal essaie plusieurs fois de s’inviter, avant d’éclater pour de bon. Place au grand final : la reprise du thème de fin de FFV est une marche triomphale et solennelle, couronnée par une astucieuse reprise de la célèbre fanfare de la série. Tout s’achève dans une ultime ponctuation de Musica Machina, enfin en mode majeur.

La musique est avant tout une joie

Le programme ne serait pas complet sans quelques rappels de bon aloi. Le concerto pour piano de FFIX est ainsi parachevé par un nouvel arrangement pour piano seul de Not Alone par Roger Wanamo, interprété par Mischa Cheung. Comme il se doit, le concert se referme sur le thème de Final Fantasy, lui aussi réorchestré pour l’occasion par Wanamo. D’abord lent et expressif, le morceau s’envole ensuite avec une majesté touchante et un héroïsme spontané.

Mais c’est bien le premier rappel qui constitue un événement en soi. Tout semble pourtant normal quand Jonne Valtonen propose une reprise de Battle at the Big Bridge – l’air du combat contre Gilgamesh dans FFV, dont la patte de rock progressif donne immanquablement lieu à une transposition orchestrale énergique. Sauf que tout s’interrompt brutalement, alors que le tuba fait sécession et préfère jouer le thème des chocobos, comme ça, seul dans son coin. L’orchestre a beau tenter une diversion, rien n’y fait : on n’est pas mieux qu’à dos de chocobo. Alors pour ne pas froisser le tubiste effronté, mélangeons tout. Et Battle at the Big Bridge de reprendre… avec la mélodie du volatile, le plus naturellement du monde. Un morceau jouissif et extrêmement drôle, qui rappelle que rien n’interdit de s’amuser avec un orchestre !

Encore que, pour ce qui est des rappels essentiels, le plus important est encore celui-ci : la musique est un matériau vivant, et même sans les jeux pour lesquels elle a été écrite, on peut lui faire dire bien des choses mémorables.

Photographies © Nadja Sjöström