Compte rendu : Symphonic Odysseys

Samedi 9 juillet, quelques milliers d’amateurs de musique de jeu vidéo ont convergé à Cologne, en Allemagne, pour assister à la quatrième et sans doute dernière édition d’une merveilleuse série de concerts symphoniques annuels débutée en 2008. Après Symphonic Shades, Symphonic Fantasies et Symphonic Legends les années passées, l’orchestre WDR Rundfunkorchester de Cologne nous a offert un grand hommage à Nobuo Uematsu en la personne de Symphonic Odysseys. Une odyssée qui était loin de s’arrêter à Final Fantasy ou même aux mélodies les plus célèbres du compositeur, puisqu’elle couvrait plus de 25 ans de carrière, de l’énigmatique King’s Knight (1986) au tout récent The Last Story (2010). Comme les précédents Symphonic, Odysseys était uniquement composé d’arrangements inédits, confectionnés par les finlandais Jonne Valtonen et Roger Wanamo. J’ai eu le plaisir d’y assister.

C’était la troisième fois que j’assistais à un concert au Kölner Philharmonie et le plaisir était toujours le même, ne serait-ce que pour la salle (magnifique) et la compagnie (précieuse) de mes amis amateurs de musique de jeu vidéo. Il y a toujours cette excitation difficile à décrire, celle de ne pas savoir comment se préparer à un concert nécessairement plus exigeant que les autres de jeu vidéo. Le programme lui-même n’est pas sans surprises, voyez plutôt ci-dessous.

1. Opening Fanfare
2. Final Fantasy (Concerto for Piano and Orchestra)
3. King’s Knight (A Pretty Day Out)
4. Chrono Trigger (Silent Light)
5. The Final Fantasy Legend and Final Fantasy Legend II (Main Theme and Save the World)
6. Final Fantasy X (A Fleeting Dream)
7. The Last Story (Spreading your Wings)
8. Final Fantasy XIV (On Windy Meadows)
9. Blue Dragon (Waterside)
10. Lost Odyssey (Suite)
Rappel 1. Final Fantasy X (Ending Theme)
Rappel 2. Final Fantasy VII (Battle Themes)

Nobuo Uematsu, naturellement, était là pour assister à cet hommage. L’immense sympathie qu’inspire ce personnage attachant s’est mesurée à la longue standing ovation en fin de concert et à la file des fans venus immortaliser l’événement par une signature sur leurs jeux et albums. Une file malheureusement insatisfaite, une heure ne pouvant suffire à faire défiler les centaines de spectateurs. Mais n’étions pas tous présents avant tout pour la musique ?

Première partie

Final Fantasy, bien sûr, ne pouvait pas être absent de l’hommage. Après une fanfare inédite écrite par Uematsu pour l’occasion, c’est par un concerto pour piano des thèmes de la série que le concert a débuté. Un concerto que je trouve encore un peu sage voire décousu par rapport aux immenses possibilités offertes par ce format, mais Roger Wanamo a choisi de révéler toute la douceur des mélodies. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il se soit tourné vers les épisodes les plus anciens, entre la légèreté cristalline de « The Boundless Ocean » de FFIII ou le romantisme déchirant de l’aria de FFVI. Il a pu y puiser des mélodies pures, sans orchestration trop dense pour les étouffer, le piano du jeune prodige Benyamin Nuss restant naturellement la toile de fond. L’Adagio cantabile, deuxième mouvement, ne manquait pas d’émergences magnifiques : la flûte, le violon, la clarinette… Les sons qui nous touchaient déjà tellement sur SNES ont gagné ici leur souffle acoustique et, sentiment difficile à réprimer, les instruments nous ont émus par leur simple beauté.

Mais c’est l’héroïsme brut qui a pris le dessus dans le morceau suivant, plus conventionnel, reprise du méconnu King’s Knight. Composées avec les moyens du bord il y a 25 ans de cela, les musiques de ce jeu sont sans compromis et la réorchestration de Jonne Valtonen n’a pas cherché à les enrichir au-delà du raisonnable. Une réussite discrète, distrayante à plus d’un titre, notamment par l’utilisation d’instruments inattendus tels qu’un kazoo dans la bouche de chaque choriste.
Le parti pris est bien plus radical dans la reprise suivante, de Chrono Trigger. « Silent Light » était presque méconnaissable, livrée uniquement aux chœurs du WDR dans une incantation aussi longue que mystérieuse sur une scène baignée par une lumière rouge. A l’époque, Uematsu avait simplement dépanné Yasunori Mitsuda sur le jeu, alors l’histoire avait naturellement retenu le nom de ce dernier.Symphonic Odysseys n’était là plus uniquement un hommage, mais presque une réhabilitation.
La suite Final Fantasy Legend revenait à l’orchestre. Sortie d’un âge presque aussi ancien que King’s Knight, elle a trouvé entre les mains de Valtonen la même énergie héroïque.

Rien de tout cela ne pouvait préparer le public à la dernière piste de la première partie. Roger Wanamo s’est alors saisi de l’arrangement déjà merveilleux de Masashi Hamauzu du thème principal de Final Fantasy X, « A Fleeting Dream », pour lui donner une majesté plus incroyable encore que celle de l’originale. Pendant près de six minutes, le monde extérieur s’est éteint. Il ne restait plus dans l’espace de ma conscience que ce souffle magique, l’intensité d’un orchestre qui se réveille et s’élève, la gravité des solistes hommes et femmes qui s’entremêlent, les souvenirs inaltérables qui surgissent au contact de cette mélodie. Un moment passé sur un nuage.

Deuxième partie

Après un entracte nécessaire pour se remettre de ces émotions, la deuxième partie du concert se tournait davantage vers les travaux plus récents de Uematsu, tout particulièrement ceux des jeux Mistwalker. Naturellement, les travaux de base étaient donc déjà plus matures, plus arrangés, l’occasion pour les orchestrateurs d’imaginer des reprises différentes. C’est pourtant avec un arrangement simple de The Last Story, signé Jani Laaksonen, que les choses ont repris. Simple car proche de l’originale et traversé de solos de violon calculés pour séduire, mais cela suffisait à produire un morceau beau et touchant.
En se penchant sur « On Meady Meadows » de Final Fantasy XIV, Jonne Valtonen a trouvé matière à bien plus d’originalité. Ballade orientalisante dans ses premiers instants, elle sautillait peu à peu vers son refrain orchestral, grandiose appel à l’aventure. Si j’éprouve encore quelques doutes sur l’efficacité réelle de cet hybride, le résultat était intrigant à plus d’un titre.
Tout aussi intrigant que cette plongée impressionniste dans Blue Dragon, où les cordes seules nous inspiraient un océan vaste et paisible, sur les flots desquels le premier violon naviguait avec grâce. Une ambiance marine fascinante.

Après le concerto pour piano, l’autre gros morceau de Symphonic Odysseys était sans conteste la suite de 20 minutes finale, consacrée à Lost Odyssey et arrangée par Jonne Valtonen. Moins créative que celles qu’il avait offert à Symphonic Fantasies deux ans plus tôt, ce grand moment du concert alternait entre les mélodies poignantes des héros tragiques et les thèmes de combat spectaculaires. Si elle n’était pas aussi dense que le formidable poème symphonique de Zelda à Symphonic Legends, cette suite démontrait une fois encore que le travail ambitieux de Valtonen, jamais décevant, peut demander un certain recul avant d’être apprécié à sa juste valeur. En présence de l’œuvre, il était pourtant indéniable que son écriture pour les chœurs était magique du début à la fin. Et le thème principal, sans doute le plus beau jamais écrit par Uematsu, s’est invité à plusieurs reprises jusqu’à sa dernière intervention, grandiose, avant de finalement s’évader dans les clochettes d’un espoir simple.

Encore ?

Deux rappels soigneusement préparés ont conclu l’événement. Le premier était le clin d’œil discret d’un autre génie à qui Uematsu a un jour donné sa chance. C’est en effet Masashi Hamauzu qui a arrangé pour l’occasion le thème de fin de FFX, lui laissant son orchestration émouvante mais lui offrant en plus une partition de piano aussi belle que raffinée. On a déjà vu Hamauzu plus audacieux, mais c’était là une fin douce, tout simplement.
Enfin, pas tout à fait une fin, le deuxième rappel suivant bien vite : un pot-pourri des thèmes de combat de FFVII, à commencer par celui des batailles normales, jeté sur le piano par Benyamin Nuss. On aurait pu penser à une réponse prévisible à l’engouement intarissable autour de cet épisode, mais il s’agissait en réalité d’un merveilleux pied de nez à tous ceux qui attendaient vous-savez-quel-thème. Oui, il y a bien eu « One-Winged Angel ». 10 secondes. Ensuite, nous sommes revenus à quelque chose de plus original, de plus frais, à l’image du concert tout entier : les thèmes de Jenova et de Bizarro Sephiroth, à grand renfort de chœurs majestueux.

Il ne fallait ainsi pas attendre de Symphonic Odysseys autre chose que cela : une exploration sans clichés de la carrière de Nobuo Uematsu, ses nombreuses contributions réunies pour leur richesse musicale dans cet événement cohérent et, bien sûr, superbe. Alors en attendant la sortie probable d’un CD, c’est l’occasion de se replonger dans l’extraordinaire précédent, Symphonic Fantasies.

Photographies : Spielemusikkonzerte sur Facebook