Julien Merceron, FFXV et le moteur Luminous

Mardi 22 décembre, la Cité des sciences et de l’industrie de Paris accueillait Julien Merceron à l’occasion d’une master class organisée par Orange et Jeux Vidéo Magazine. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais ce Français est actuellement l’un des directeurs de la technologie les plus en vue dans le jeu vidéo. Il a notamment fait un passage remarqué chez Square Enix entre 2010 et 2013, participant à la conception du moteur Luminous de Final Fantasy XV. L’occasion de mieux comprendre les coulisses de sa genèse.


Photo : Final Fantasy Ring

Venu à l’origine d’Ubisoft, Julien Merceron était directeur de la technologie chez Eidos lorsque Square Enix entra en discussions avec l’éditeur en vue de le racheter, en 2009. Merceron, qui était un très grand fan de Final Fantasy VII, a immédiatement milité pour ce rachat. Il se rendit au Japon pour présenter Eidos au président de Square Enix de l’époque, Yôichi Wada, lors d’une réunion mémorable de six heures pendant laquelle il a tapé dans l’œil de Wada. En janvier 2010, ce dernier proposa finalement à Merceron de devenir le directeur de la technologie du groupe Square Enix et l’invita ainsi à aider les équipes de développement japonaises.

À son arrivée à ce poste, Merceron examina de près le mode de fonctionnement de la maison mère de Square Enix et constata rapidement les différences entre les développeurs japonais et occidentaux. Selon lui, les équipes japonaises n’arrivaient pas à apprécier à leur juste valeur les bons côtés de leurs méthodes de travail, et elles avaient beaucoup trop tendance à rester sur leurs acquis : y compris en 2010, les équipes internes de Square Enix continuaient à envisager le développement de jeux console comme elles le faisaient à l’époque de la PlayStation 2, ce qui n’était naturellement plus du tout approprié sur PS3 et Xbox 360. Merceron découvrit ainsi les graves difficultés de la première version de FFXIV (qui utilisait le moteur de FFXIII, le Crystal Tools) et le développement difficile de Final Fantasy Versus XIII. À ce moment-là, Versus XIII était en plein bouleversement et optait de plus en plus pour une approche en monde ouvert, sauf que les technologies employées n’étaient plus du tout appropriées à cela.


Agni’s Philosophy

À la même époque, en 2010, Square Enix avait lancé le projet du moteur Luminous, qui devait jouer le rôle de nouveau moteur propriétaire de l’éditeur. Square Enix assembla une équipe d’ingénieurs internationaux au sommet de laquelle se trouvait Yoshihisa Hashimoto, un ancien de Sega, et à laquelle Merceron prit part. Leur premier coup d’éclat fut la démonstration technologique Agni’s Philosophy, qui fut dévoilée en juin 2012 à l’E3. Si l’éditeur de cinématique et le moteur lui-même étaient l’œuvre de l’équipeLuminous, toute la partie graphique fut conçue par le studio Visual Works. Merceron note que Visual Works n’avait aucune expérience dans la création d’images de synthèse en temps réel : comme ils développaient uniquement des vidéos précalculées, ils n’avaient habituellement pas besoin d’optimiser les graphismes et n’avaient recours à aucune technique permettant de dissimuler les objets non visibles à l’écran pour préserver la mémoire. Pour concevoir Agni’s Philosophy, qui est entièrement en temps réel, Visual Works a donc dû adapter ses techniques afin de préserver la qualité des visuels tout en allégeant la charge de travail du processeur.

L’équipe peaufina la vidéo jusqu’au tout dernier jour avant la présentation. Merceron salue aujourd’hui le travail remarquable des artistes sur cette démo, travail qui encouragea les ingénieurs à faire de leur mieux pour que les illustrations conceptuelles soient restituées le plus fidèlement possible par les images de synthèse. Agni’s Philosophy fut plus tard portée sur PlayStation 4, ce qui nécessita un travail d’optimisation supplémentaire afin que la vidéo marche de manière fluide sur la console. Cela concernait notamment la gestion de la mémoire, car la vidéo devait tourner sans coupure, comme s’il s’agissait d’une scène cinématique précalculée.


Final Fantasy XV

À la suite de ce succès, la voie semblait donc toute tracée pour que le Luminous devienne le moteur des productions futures de Square Enix. Mais l’une des règles de Julien Merceron est de faire en sorte d’attendre qu’un premier jeu soit développé avec un nouveau moteur avant de l’utiliser pour produire d’autres titres, car ce premier jeu joue le rôle de « test » grandeur nature. C’est donc seulement si cette expérience fonctionne que le moteur peut être mis à la disposition d’autres équipes. Merceron a donc déconseillé à Square Enix de prévoir l’utilisation simultanée du Luminous sur plusieurs jeux en plus deFinal Fantasy XV, et leur a suggéré d’attendre que ce dernier soit terminé. En termes de technologie, l’équipe de FFXV ne sera selon lui sûrement pas satisfaite du jeu à sa sortie, car elle aura dû subir les problèmes liés au fait qu’il s’agit du tout premier titre développé à l’aide du moteur Luminous. En réalité, il faudra attendre le prochain jeu développé à partir de ce moteur (FFXVI, dit Merceron en plaisantant) pour qu’ils puissent réellement en tirer le plein potentiel.

C’est donc la raison pour laquelle, en attendant, Square Enix a préféré opter pour le moteur Unreal Engine 4 pour développer Kingdom Hearts III, Final Fantasy VII Remake et Dragon Quest XI, car ce moteur est déjà prêt et Epic Games est disposé à apporter son aide à Square Enix.


Final Fantasy VII Remake

Julien Merceron a quitté Square Enix en octobre 2013 pour rejoindre Hideo Kojima chez Konami et participer à la conception du moteur Fox Engine, qui fut utilisé pour Metal Gear Solid V et PES 2014. Yôichi Wada, qui avait donné son aval à Merceron avant son départ, organisa même un dîner avec Kojima et lui en guise de passation de pouvoir. Ayant quitté Konami après la dissolution de Kojima Productions, Merceron a intégré ce mois-ci l’éditeur japonais Bandai Namco afin de l’aider à relever de nouveaux défis technologiques.