Squall, Linoa, Laguna : les trois héros de Final Fantasy VIII

Dans la série Final Fantasy, il y a les épisodes qui proposent un grand nombre de personnages principaux, parfois au point qu’il n’existe pas de héros unique ; c’est par exemple le cas de FFVI ou XII. Mais il y a aussi ceux qui se concentrent sur une poignée de personnages. Le résultat, généralement, est sans surprise : ce ou ces personnages sont plus approfondis, au risque que les autres soient en retrait ou n’existent que comme faire-valoir. Oui, cette description correspond bien à Final Fantasy VIII. Son monde tout entier tourne autour de l’esprit de Squall, si fermé dans ses premières heures, si ouvert dans ses dernières. Entre ces deux constats, il y a une histoire riche en péripéties et, surtout, deux rencontres décisives. Une femme, celle qui l’aime et que lui aussi finira par aimer, et un homme, qu’il découvrira dans ses rêves sans trop savoir qui il est.

Voici les portraits de Squall, Linoa et Laguna, les trois héros de Final Fantasy VIII. Inutile de vous dire qu’il est naturellement préférable d’avoir terminé le jeu avant de poursuivre.

Le lion solitaire

En réalité, Final Fantasy VIII a peut-être le héros le plus étonnant de la saga, et ce notamment par le lien direct qu’il entretient avec le joueur. Du début à la fin de l’aventure, des fenêtres de dialogue transparentes indiquant les pensées du personnage permettent de connaître ses sentiments et ses émotions. Dans de nombreuses situations, ces véritables apartés sont un élément capital dans la compréhension du personnage. Squall est un jeune homme très discret et peu loquace qui ne laisse jamais transparaître ses émotions, à part une certaine fierté, celle du lion qu’il voudrait être (Cronos, celui de sa bague). Lorsque le joueur le découvre, au fil des discussions avec les autres héros qui gravitent autour de lui sans réussir à le comprendre, il apparaît d’une froideur repoussante et d’un cynisme peu accueillant. Son histoire, il faut l’avouer, n’a pas été facile jusque-là.

Dans sa jeunesse, Squall n’a connu que l’orphelinat. Sa mère, Raine, est morte en lui donnant la vie, et son père, Laguna, qui n’a jamais connu son existence, s’était retranché à Esthar. Son seul point d’appui était Ellone, qui était plus âgée que lui et qu’il considérait comme sa grande sœur. Elle réussit à lui donner toute la tendresse dont il avait besoin. Un jour, la convoitise dont les pouvoirs d’Ellone faisaient l’objet entraîna son retrait de l’orphelinat. Squall, qui n’osait pas se mêler aux autres enfants, fut livré à lui-même. Comme on le ressent tout au long du jeu, cette séparation fut le point de départ d’une angoisse : la perte d’êtres chers. Si, un jour ou l’autre, on doit souffrir de la perte des siens, à quoi bon s’attacher à eux ?

 

Cette question est restée ancrée dans la tête de Squall depuis son départ de l’orphelinat, à l’âge de cinq ou six ans. Renfermé sur lui-même, ignorant son entourage à l’université de Balamb qui fut son unique foyer depuis lors, il s’est finalement retrouvé seul avec la certitude de ne pouvoir compter que sur lui-même, de ne vouloir porter qu’un seul fardeau : le sien. Au paroxysme de cette fermeture au monde extérieur, Squall en vient même à penser qu’avoir des amis, « ça n’a rien de génial ». La discussion entre lui et Linoa, lors du concert à Horizon, démontre à quel point il a peur des autres. S’attacher à quelqu’un, ce n’est qu’un compte à rebours avant de devoir s’en séparer et d’en souffrir le reste de sa vie. Les bons moments qu’on peut vivre avec ses amis ? Ils n’apportent pour lui que du regret.

Le futur, voilà ce qui l’effraie. Il sait que chacune de ses actions entraînera quelque chose d’autre à long terme, mais que rien n’est radieux à l’horizon. Le joueur a l’impression que Squall attend juste la mort et que, comme nul ne peut franchir cette ultime barrière, il est préférable de ne pas ajouter de peine à un destin déjà tragique. La séquence de fin du jeu dévoile un décor expressionniste par excellence. Laguna explique que, au cœur de la compression temporelle, chacun est mis face à ce qu’il est vraiment. Squall se retrouve ainsi au milieu d’un désert sombre et vide, surplombé d’un ciel ténébreux et agité. Il marche pendant des heures mais ne voit rien d’autre autour de lui que de la désolation. Il finit même isolé sur un bout de terre aride flottant dans le néant. Si l’aventure l’a vu évoluer, cette scène réussit toutefois à mettre Squall devant ce qui l’attend s’il continue à ignorer l’importance des autres. Mais comme le montre également la scène finale, une force supérieure peut chasser les nuages noirs et donner naissance à des champs de fleurs à perte de vue : l’amour de Linoa.

 

Dès l’instant où Linoa l’a « ensorcelé » en l’invitant à danser le soir des résultats du Seed, un changement irrémédiable s’est produit en Squall. Heureux hasard du destin, ils se retrouvent plus tard pour une mission strictement professionnelle. Pourtant, même s’il ne le montre à personne, même pas au joueur d’ailleurs, Squall tombe immédiatement amoureux de Linoa. S’il se bat contre ses sentiments, pour ne pas commettre la même erreur qu’avec Ellone, Linoa a une aura bien trop importante pour lui : c’est la seule qui fut capable de lui démontrer que la vie doit être appréciée à chaque instant. Le futur n’existe pas encore, il n’est qu’un rêve dont on ne connaît pas encore l’issue. Puisqu’on ne peut pas connaître le futur, pourquoi ne pas profiter du présent avec toute l’insouciance que la vie peut nous donner ? Même les choses les plus simples suffisent à rendre heureux.

Squall, lui-même, conclut : « L’amitié, l’amour, ça paraît débile, mais c’est ce qu’on recherche vraiment ». Difficile d’attribuer de telles paroles au Squall du début du jeu, preuve du chemin accompli. Le tourmenté a trouvé seul la réponse à ses tourments. C’est vrai que ça paraît débile, mais c’est ce qui l’amène à sourire, finalement, sur la toute dernière image du jeu.

L’optimiste angoissée

Si Squall était la nuit, Linoa serait le jour. Née de l’amour de la chanteuse Julia, célèbre interprète de la chanson « Eyes On Me », et du Major Caraway, l’héroïne du jeu est une jeune femme au tempérament très optimiste. La vie non plus ne lui a pas fait de cadeaux : elle a perdu sa mère dans un accident de voiture alors qu’elle avait 5 ans et elle s’entend très mal avec son père. Pour éviter d’avoir affaire à lui, elle a quitté Deling City pour Timber, où elle a rejoint un groupe de résistants nommé les Hiboux de la Forêt, avec pour espoir la libération de la ville du joug galbadien. Un espoir qui n’est sans doute qu’un vague idéalisme, d’où la réaction de Squall qui cherche à la convaincre que les illusions qu’elle se crée sont « le meilleur moyen d’être déçu ».

Ainsi, malgré l’apparente insensibilité de Squall à son égard et son commandement peu amène, puisqu’elle pense qu’il est « horrible comme chef », quelque chose la force à s’intéresser à ce jeune homme si mystérieux. Mais comme elle le lui dit si bien, tout le monde le soutient, comme si sa misanthropie dissimulait un rayonnement forçant la sympathie. Le caractère de Linoa s’oppose presque totalement à celui de Squall : elle est ouverte aux autres, toujours prête à écouter, à réconforter et à aider. Elle profite de chaque instant sans les gâcher par d’inutiles questions, comme elle le dit elle-même. En faisant prendre conscience à Squall de l’intérêt d’éprouver de l’affection envers les autres et ainsi d’en être aimé en retour, elle parvient à libérer ce que sa froideur cachait, le besoin de se sentir aimé. C’est bien à elle qu’il avoue en premier que l’image qu’il donne de lui est différente de ce qu’il est réellement.

 

Mais il n’ose se confesser que devant une Linoa dans le coma suite à l’assimilation forcée des pouvoirs d’Ultimecia en elle. Tactique scénaristique exemplaire, le long passage pendant lequel Linoa est inconsciente permet à Squall de comprendre à quel point il l’aime. Il est parfois vraiment nécessaire d’être éloigné de ceux qu’on aime pour se rendre compte de l’importance qu’ils ont. Cependant, des craintes, proches de celles de Squall, tenaillent également la jeune femme. Le cauchemar qu’elle raconte à un moment du jeu montre à quel point elle a peur de le perdre. Mais, à la différence du héros, sa peur rend plus intense son attachement.

De ce rêve naît une promesse, celle qu’on peut lire dès la scène d’introduction et qui est le pivot de l’histoire : « Je serai ici… J’attendrai ici… Je t’attendrai ici alors, si tu viens… je serai là. Je le promets ». Lors de la compression temporelle, Squall et Linoa sont séparés. Lui se retrouve dans un désert sombre à perte de vue. Elle arrive dans ce qui ressemble à un champ sous un ciel très sombre. Ainsi plongée dans le cauchemar qu’elle avait déjà vécu, Linoa court pour retrouver Squall mais n’y parvient pas. C’est le souvenir de la promesse qui permet leurs retrouvailles, même si Squall peine à se rappeler du visage de son amour et finit par mourir au milieu de la terre morne et perdue sur laquelle il est tombé. Aussi naïf que cela puisse paraître, c’est quand Linoa le retrouve enfin que la vie renaît en lui et que l’enfer qui l’entourait se change en un champ d’été, où le vent emplit l’air de pétales de fleurs : le lieu de la promesse.

L’idéaliste maladroit

Le personnage de Laguna occupe une place différente dans la narration, car il est un acteur essentiel de certains événements passés. Son histoire personnelle est intimement liée à celle des vingt années qui précèdent le début du jeu et c’est grâce à lui que la dernière guerre occulte a pris fin. Antithèse absolue de son fils Squall, Laguna a beaucoup plus la carrure d’un héros, même s’il apparaît au joueur comme un doux rêveur aussi maladroit dans ses gestes que dans ses discours. Opposé à la guerre, il a pour seul souhait de voyager à travers le monde et de communiquer ce bonheur aux autres. D’abord, sa présence dans l’aventure passe par les rêves qu’Ellone provoque chez Squall. Durant ces rêves, le joueur a l’occasion de contrôler Laguna au cours de certains épisodes de sa vie, jusqu’à plusieurs années avant le jeu. Le plus lointain de ces flash-back nous ramène dix-huit ans en arrière, un an avant la naissance de Squall.

Quel est le but visé par Ellone ? Depuis son enfance, une chose la perturbe : que Laguna n’ait pas pu être aux côtés de sa femme, Raine, lors de l’accouchement. Une naissance qui, tragiquement, entraîna sa mort. En vérité, Laguna ignore même qu’il est père, ce qu’Ellone espère changer en expédiant Squall et ses amis dans le passé pour qu’ils contribuent à changer les choses. Or, cette entreprise est un échec puisqu’on ne peut modifier le passé, un constat amer qu’elle doit pourtant admettre à la fin d’un des rêves. De ce fait, ce qui s’est déroulé reste inchangé : après avoir libéré Esthar d’Adel, Laguna a renvoyé Ellone vivre avec celle qui était devenue sa femme, Raine. Cette dernière eut à peine le temps d’accueillir la jeune fille à Winhill qu’elle donna naissance à son enfant et mourut.

 

Laguna ne fut jamais averti de l’existence de son fils, qui fut élevé à l’orphelinat d’Edea et Cid Kramer. Ellone y fut également placée et servit, jusqu’à son départ à cause de la menace d’Ultimecia, de « famille » au petit Squall. Ce n’est qu’à la fin de Final Fantasy VIII qu’Ellone avoue à Laguna qu’il est le père de Squall. Curieusement, elle ne prend pas la peine d’avertir le fils, mais le joueur le devine en parlant à Ward et Kiros, les deux amis de Laguna, qui lui disent successivement qu’il ressemble beaucoup à sa mère et pas à son père, ce qui est un « coup de pot ».

Le personnage de Laguna, même si on ne le croise en personne que vers la fin du jeu, à l’âge approximatif de 45 ans, fait aussi partie intégrante de l’aventure grâce aux réactions qu’il provoque auprès des héros. Selphie, notamment, éprouve un intérêt tout particulier pour les différents magazines Timber Maniacs auxquels il a participé alors qu’il voyageait à travers le monde. De son côté, Squall ne peut s’empêcher de se moquer de ce « clown », tel qu’il l’appelle, qui est évidemment aux antipodes de son caractère à lui. Il est vrai que son dynamisme et sa tendance à trop parler, au risque de dire n’importe quoi, ne sont pas du tout du goût de Squall, qui lui ne prend la peine de s’exprimer qu’en cas d’extrême nécessité. Implicitement, Laguna a contribué à l’ouverture de Squall, en lui faisant comprendre qu’on peut accomplir de grandes choses en étant à l’écoute des autres. Cela se voit particulièrement lorsqu’il essaie de parler aux Moombas, des petits animaux utilisés comme esclaves par Esthar quand Adel était encore au pouvoir.

 

A chaque étape de sa vie, son naturel communicatif l’a amené à faire des rencontres décisives et à avoir une raison de se battre. Que ce soit pour Ellone ou la paix, à Winhill ou Esthar, il est toujours prêt à se dépenser sans compter. S’attacher aux autres est sa seule raison de vivre. Tel qu’il le dit à Squall, à la fin du jeu, « l’amitié, c’est la première forme d’amour ». Une belle leçon du père au fils, que ce dernier a finalement réussi par comprendre. La relation qui les unit est d’ailleurs laissée en suspens une fois le jeu terminé, Laguna confiant simplement à Squall avoir beaucoup de choses à lui dire ; une étrange distance, prouvant cependant que la lutte contre Ultimecia est plus importante que le reste, pour la simple et bonne raison que d’elle dépend la survie de chacun.