Éditorial : la quinzième découverte

Alors voilà, depuis un mois, nous avons enfin notre Final Fantasy XV. Certes, il s’agit de ce Final Fantasy Versus XIII dont nous avons entendu parler pour la première fois il y a sept ans, mais qu’il est rassurant de le savoir enfin sur les bons rails.

Cette situation n’en reste pas moins inédite, et Tetsuya Nomura lui-même a fait part de ses doutes initiaux à l’idée de transformer son étonnant projet parallèle en véritable épisode numéroté. Mais alors que je pensais Versus d’ores et déjà adulé par de nombreux fans, j’ai été très surpris de ressentir une forme d’indifférence autour de l’annonce de FFXV. Un peu comme si, finalement, devenir un véritable épisode numéroté changeait totalement la donne sur les ambitions de ce projet. Il y a pourtant plus d’une raison d’être positif, même s’il est vrai que l’on peut déjà avoir quelques réserves.

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Réserves que j’ai pu avoir notamment au sujet du changement de nom, mais réflexion faite, il s’agissait sans doute de la meilleure solution. Désormais, le numéro XIII restera associé à la saga de Lightning et il était préférable pour Versus XIII de s’en dissocier pour ne pas troubler les joueurs. Certains diront que conserver FFXV dans la compilation Fabula Nova Crystallis reste un obstacle à la liberté. Cela demeure pourtant tout à fait pertinent. En 2007, Tetsuya Nomura se justifiait déjà sur ce sujet : « La seule similitude que vous pouvez trouver entre les jeux, c’est la thématique du cristal. Et encore, elle est vague ». La raison à cela est que toutes les équipes (FFXIII, XV, Type-0) ont pris le mythe de base et lui ont donné l’interprétation de leur choix. Le vocabulaire de Fabula Nova Crystallis n’est donc qu’une série de codes sous-jacents, à la façon des éléments récurrents traditionnels de Final Fantasy. Cette vision discrète, qu’on peut prendre le temps de retracer mais qui n’est pas essentielle au plaisir de jeu, me parle beaucoup plus que les échanges de références criards du projet FF Go There.

Le plus étonnant reste que les têtes pensantes de FFXV, Nomura et son producteur Shinji Hashimoto, ont décidé de nous préparer déjà à la possibilité d’une ou plusieurs suites directes du jeu. Ils ont même résumé cette compilation future sous le terme d’épopée. Je n’ai pas du tout été surpris par cette annonce, qui est la suite la plus crédible de la série. Dans mon article sur la création des univers de Final Fantasy, ma conclusion implicite était que Square Enix n’avait plus les moyens de se permettre de créer un jeu complètement nouveau à chaque fois et que leur seule solution viable était de concevoir des univers pouvant être élaborés sur plusieurs épisodes. Un RPG de nouvelle génération demande beaucoup trop d’investissement humain et financier pour se permettre de tout abandonner une fois le développement terminé. La différence entre la saga FFXIII et la future épopée FFXV, c’est que la première a manifestement été improvisée après la sortie du jeu initial, tandis que la seconde est réfléchie comme telle dès à présent.

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En vérité, ils ne feront sans doute plus jamais de Final Fantasy uniques. Nous devrons plutôt tabler sur des trilogies comparables à la saga FFXIII, mais aussi aux grandes séries de RPG occidentaux à la Mass Effect. Si cela permet de donner lieu à des mondes riches et immenses que nous pourrons découvrir sur le long terme, c’est plutôt une bonne chose. Néanmoins, Square Enix lorgne tellement sur les téléphones portables et les tablettes qu’on est en droit de rester méfiant sur la forme prise par ces différents projets. Bien sûr, il ne faut pas oublier que Tetsuya Nomura a déjà affirmé que FFXV serait un jeu complet, avec son grand final. Alors plutôt que de se méfier, je dirais qu’il convient pour l’instant de rester curieux. A l’époque de Versus, et tout particulièrement en 2011 après cette spectaculaire bande annonce, le même Nomura nous avait déjà promis beaucoup de belles choses. Tout laisse à penser qu’elles seront conservées et sans doute parfaites dans FFXV.

Au risque de surprendre, heureusement

Dès l’annonce du jeu, le producteur Hashimoto a immédiatement voulu assurer les joueurs que l’optique action du jeu était assumée et que les développeurs voyaient là une évolution logique de la série. Pendant mon interview avec lui, Nomura se justifiait : « Si nous avons voulu créer un Final Fantasy aussi riche en action, c’était parce que nous voulions donner du dynamisme à la fois à l’histoire et au système de jeu en lui-même ». Naturellement, ce sera la première fois qu’un épisode numéroté optera pour une forme d’action aussi extrême, mais Nomura nous avait bien prévenu dès que Versus a été dévoilé, en 2006. Ce qui est amusant, c’est qu’à l’époque, il disait : « Avec Versus, nous essayons un nouveau type d’aventure qu’il nous serait impossible de faire avec la série numérotée ». En ce qui me concerne, le fait que cette ambition soit désormais portée par un véritable FFXV est réjouissant, car cela est tout à fait conforme à l’esprit d’audace de Final Fantasy. Nous allons donc voir ce que donnera cet épisode au système dynamique, sans oublier que le suivant (FFXVI ?) explorera peut-être d’autres horizons.

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FFXV apportera d’ailleurs du renouvellement du côté des créateurs. Il s’agira du tout premier épisode réalisé par Tetsuya Nomura, qui a commencé à réfléchir à son histoire il y a presque dix ans. Au travers des différentes interviews qu’il a pu donner au fil des ans, on a senti à quel point il avait envie de nous proposer sa propre représentation de la fantasy : éloignée de tous les clichés qu’on y associe, et inspirée par notre monde réel. D’où cette représentation d’un environnement moderne imprégné de magie, une direction artistique rare dans les RPG japonais. A l’époque de FFX, c’est en refusant de se plier bêtement aux demandes de « retour à la fantasy » que les développeurs avaient réussi à inventer une forme inédite de fantasy asiatique. C’était une démarche pleine de sens, qui s’interrogeait sur un concept au lieu de l’épuiser. Dans l’équipe en charge du développement de FFXV, on trouve qui plus est des créateurs qui n’ont pas participé à la série depuis un certain temps et qui apporteront sans doute du sang neuf. Et ne parlons pas de la présence réjouissante de Yôko Shimomura à la musique.

Je pense qu’il est important de laisser aux développeurs cette marge de manœuvre car il s’agit du seul moyen pour eux de nous surprendre. Dans l’interview qu’il a accordé à Gamekult, Nomura le disait bien mieux que moi : « Tant qu’on n’essaie pas, rien ne change vraiment et on ne peut pas savoir si ça va plaire au public ». Oui, il serait facile de retrouver à chaque fois les mêmes repères rassurants. Mais depuis le début Final Fantasy mise sur ce risque, et c’est personnellement la raison pour laquelle j’aime autant cette série. Se laisser gaver de fan service sans au moins émettre quelques réserves, j’ai du mal à le comprendre. De même, se plaindre d’un casting trop masculin me paraît un peu trop intrusif : si Nomura veut raconter une histoire d’amitié entre quatre jeunes hommes, je ne vois pas au nom de quoi il devrait infléchir son orientation sous prétexte qu’il faut absolument une parité dans les personnages jouables. En 2008, il se justifiait déjà dans Famitsu : « D’habitude, quand des amis d’école partent en vacances, ils se réunissent entre hommes ou entre femmes. Souvenez-vous du temps où vous étiez étudiant, où vous aimiez vagabonder sans trop savoir où aller avec vos meilleurs amis ». Comme il le disait lui-même, FFXV tiendra un peu du road movie, sauf que la voiture sera plutôt luxueuse.

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En définitive, il est sans doute trop tôt pour les polémiques. Vraiment, rester curieux me semble être la posture la plus sage. Final Fantasy XV vient à peine de sortir de l’ombre après tant d’années d’errements, alors il y a bien plus de raisons de se réjouir que de se méfier. Encore une fois, ce plongeon dans l’inconnu, c’est cela qui est excitant. Comme me le disait Yoshinori Kitase à Japan Expo, « ce qui fait Final Fantasy, c’est que chaque nouvel épisode est totalement nouveau ». En espérant que les suites directes elles-mêmes feront tout leur possible pour s’accorder à cette optique…