Interview : Naoki Yoshida et FFXIV A Realm Reborn

Depuis plus de deux ans, Naoki Yoshida est à la tête du plus gros chantier jamais entrepris par Square Enix : corriger un Final Fantasy XIV défaillant et le reconstruire entièrement, avec pour but avoué d’en faire un épisode digne du long héritage de la série. Ce projet jamais vu dans l’histoire de Final Fantasy porte le nom d’A Realm Reborn, un royaume ressuscité. Aujourd’hui, l’équipe du jeu touche au but et les portes de la bêta sont sur le point de s’ouvrir. Il y a quelques jours, j’ai justement pu m’y essayer et discuter avec Yoshida afin d’en savoir plus.

En parlant avec Naoki Yoshida de la première version de FFXIV, « 1.0 » de son petit nom, on comprend vite qu’il est bien heureux de ne plus l’avoir sur les bras. « Maintenant que j’y repense, tout me revient… » avoue-t-il en riant. Sa liberté de ton tranche radicalement avec le discours très convenu des autres producteurs de Square Enix. Il ose même : « Je suis désolé pour les joueurs car ils étaient limités par ce que nous pouvions faire avec la précédente version. Quand j’ai commencé à y jouer, j’ai balancé ma manette au bout de cinq minutes. Dire que tous les fans qui ont attendu ce jeu pendant si longtemps ont ressenti la même chose… C’est là que j’ai compris que je devais absolument faire quelque chose ». En leur temps, les têtes pensantes du premier FFXIV expliquaient que le genre MMORPG était pour eux le meilleur moyen de créer le Final Fantasy idéal, mais ils n’avaient pas été capables de le prouver. « Je partage cette vision, souligne pourtant leur successeur, car c’est un genre à la fois flexible et très ouvert. On nous a dit de créer le FF que nous voulions ».

Lorsqu’il est arrivé sur le projet à la fin de l’année 2010, Yoshida a vite compris que son premier chantier serait la refonte de l’architecture des serveurs. « Il faut absolument des serveurs stables pour jouer, car ils sont un peu comme la Terre sur laquelle nous vivons. Mais changer les serveurs signifiait repenser l’intégralité du jeu ». Tout reprendre, c’était sans doute là le seul moyen de rectifier le tir. La personnalité de Yoshida, qui endosse désormais le double rôle de producteur et de réalisateur, n’est sans doute pas étrangère à l’efficacité avec laquelle le projet FFXIV a été remis sur les rails. « Je ne pourrais pas vous dire ce qui fait le « producteur idéal », si ce n’est que la productrice assistante me dit toujours que je ne fais pas assez attention au budget », plaisante-t-il. N’ayant jamais occupé ce poste auparavant, il explique qu’il fait simplement de son mieux, en comptant qui plus est sur sa vraie connaissance du domaine. Joueur de MMORPG depuis longtemps, il a passé de très nombreuses heures sur Dark Age of Camelot, pour ne citer que lui.

Pourtant, en tant que fan peu porté sur la célébration de la nostalgie, je dois bien admettre que je me suis beaucoup méfié de la façon dont Yoshida a cherché à insuffler l’esprit de Final Fantasy dans FFXIV. Depuis de nombreux mois maintenant, il nous parle inlassablement de tous ces éléments familiers des précédents épisodes qu’il compte intégrer dans le monde d’A Realm Reborn. La fameuse Tour de Cristal, dernier donjon de FFIII, est vite devenue le symbole de ce recyclage peu risqué qui ne me plaît guère. Je m’en suis ouvert à lui. « Ne vous inquiétez pas, me confie-t-il. FFXIV aura une histoire totalement différente des autres et ce sera intéressant de voir comment ces éléments des épisodes passés s’accorderont au jeu ». En réalité, la Tour de Cristal sera ici un édifice construit dans les temps anciens par l’empire garlemaldais. Une démarche qui n’est pas sans me rappeler les merveilles subtilement intégrées à l’univers d’Ivalice dans Final Fantasy Tactics.

FFIII semble avoir particulièrement inspiré Yoshida, car FFXIV aura aussi ses propres versions du Chevalier oignon, du Nuage des Ténèbres ou d’Amon. Parmi les autres références, on trouvera par exemple Cait Sith et Gilgamesh. « Tous ces éléments que nous allons apporter à l’univers de FFXIV sont uniquement là pour faire plaisir aux fans, poursuit Yoshida, mais ce ne sera pas la thématique principale du jeu ». Dans A Realm Reborn, les joueurs pourront en effet suivre pas moins de trois intrigues centrales, dont une occupera la toile de fond tout au long de l’aventure. Déjà nimbée de mystère, elle mettra en scène le Cristal mère, la « conscience » du monde d’Hydaelyn dans lequel se déroule le jeu. « Nous dissimulons volontairement la nature du Cristal mère pour le moment, se justifie-t-il, car nous voulons que cela crée un fort impact quand le jeu sortira. Ce sera la première chose que vous verrez quand vous lancerez le jeu après avoir créé votre personnage ». Avec un sourire entendu, Yoshida ajoute que cette intrigue devrait être digne de Final Fantasy. S’il sait être un bon séducteur, je garde tout de même un soupçon de méfiance.

La deuxième intrigue de FFXIV: A Realm Reborn prendra la suite de celle de 1.0 et verra le combat des cités-Etats d’Eorzéa contre l’empire de Garlemald. Cette histoire sera centrale dès le début du jeu, mais elle devrait elle aussi revêtir l’empreinte de Final Fantasy au fil de son avancée. Yoshida s’est autorisé une petite révélation sur la tournure qu’elle devrait prendre avec cette citation sans équivoque : « Les légendes parlent des Guerriers de la Lumière… » Je crains bien qu’avec lui, les références directes aux anciens épisodes ne restent jamais bien loin. La troisième intrigue poursuivra quant à elle l’histoire des Primordiaux, révélée au fil des mises à jour de la version 1.0. Ces créatures, toutes inspirées des invocations traditionnelles de la série, ont été renforcées depuis le retour de Bahamut. En plus de contenir la menace impériale, les joueurs devront empêcher ces Primordiaux de replonger dans les flammes Eorzéa à peine ressuscitée. Cela promet de grands combats contre Ifrit, Shiva, Titan… et Bahamut bien sûr, qui attendra les joueurs dans son donjon.

Outre l’importance accordée à l’histoire, A Realm Reborn sera fidèle à une autre caractéristique essentielle de Final Fantasy : les graphismes de pointe. Très confiant, Naoki Yoshida affirme que son jeu sera le plus beau MMORPG jamais conçu, mais il sera aussi suffisamment configurable pour tourner sur la plupart des PC. « 1.0 était déjà très beau, dit-il, mais c’était une beauté artificielle. Cette fois-ci, nous avons essayé de faire des graphismes plus photoréalistes, pour que vous sentiez vraiment que vous appartenez à ce monde ». Là où les graphismes de la première version étaient d’un style plutôt diffus, A Realm Reborn se veut effectivement plus net, avec un éclairage plus vif. En soi, les deux approches se tiennent. Je trouvais parfois FFXIV 1.0 plus joli, mais les effets de lumière et d’ombres de la nouvelle version sont séduisants à plus d’un titre. Si la version bêta est déjà très belle sur PC, la version PlayStation 3 n’est pour le moment optimisée qu’à 75%, d’où une fluidité nettement en retrait. L’équipe de Yoshida travaille activement avec Sony pour continuer à l’améliorer.

Le plus important, néanmoins, vient de la reconstruction intégrale de la plupart des environnements. Les décors ennuyeux évoqués par Yoshida précédemment ont disparu au profit de zones aux paysages variés et, surtout, beaucoup plus vivants. « Je dois bien avouer que les décors [de la version 1.0] étaient très ennuyeux à explorer, explique-t-il. Ce n’était pas assez amusant, selon moi ». J’ai pu constater l’ampleur du changement en explorant en profondeur la nouvelle forêt de Sombrelinceul, mais aussi les environs immédiats de Limsa Lominsa et Ul’dah. La grande variété des environnements donne immédiatement envie de partir explorer chaque recoin. A cela s’ajoute l’interface conçue par Hiroshi Minagawa, au délicieux parfum de FFXII. « J’aime beaucoup FFXII et les gens qui ont travaillé dessus, admet bien volontiers Yoshida. C’était un jeu dans lequel le joueur était vraiment libre ». Une partie de l’équipe deFFXIV, précisément, vient de celle du douzième épisode.

Les tests bêta de Final Fantasy XIV: A Realm Reborn qui commencent donneront l’occasion aux joueurs fidèles de s’approprier cette nouvelle vision d’Eorzéa. Quoi qu’on pense de l’approche de Naoki Yoshida en termes d’histoire et d’univers, le jeu en lui-même semble déjà parti sur des bases saines. Les inscriptions pour les tests sont toujours ouvertes, alors n’hésitez pas à poser votre candidature.